Sandrine Piau transfigurée
Montpellier entame sa saison lyrique avec une reprise de 2007 « La Flute enchantée » de Mozart. Cette production 100% montpelliéraine a été adaptée à une mise en scène ludique et lumineuse de Jean-Paul Scarpitta. La reprise de l’œuvre, quelque peu remaniée sur le plan des dialogues afin de la rendre encore plus accessible au grand public, a été également améliorée sur le plan de sa distribution vocale, et renouvelée dans sa direction. En effet, c’est le nouveau directeur musical de l’Orchestre national de Montpellier, Lawrence Foster, qui vient de diriger au Châtelet, ce même mois, ce hit sans frontière de l’opéra. Un vrai succès populaire pour cette super production « provinciale ».
La soirée s’annonce électrique. L’Opéra Berlioz est comble : plus une place. C’est le phénomène Scarpitta ! Scarpitta successeur de Koering en 2012 à la place de surintendant de la musique de Montpellier, Scarpitta figure internationale du lyrique, du cinéma et du bottin mondain transporte avec lui un parfum de renouveau et d’euphorie. Scarpitta encore qui adapte avec Clémence Boulouque un récit pour la Flûte afin de remplacer les dialogues, mais dans quel but ? Scarpitta toujours, metteur en scène incontesté du beau et des tableaux de lumière, accompagnée dans sa quête par Sandrine Piau, mozartienne de renom, divine Pamina. Tant en un seul soir ! L’atmosphère est emplie de ce frémissement imperceptible, celui de la pression médiatique, de l’excitation et de la création artistique. Le Corum respire : c’est aussi le succès de René Koering qui a tant fait pour ça !
Qu’en est-il vraiment de cette production ? Lawrence Foster, qui vient de prendre ses fonctions, apparaît comme un chef mature, marqué par sa nature Roumaine exaltée. Je le cite : « Actuellement, nous apprenons, les musiciens et moi, à communiquer musicalement » (La Gazette M.A.G). En effet l’ouverture tant attendue, chef-d’œuvre d’écriture musicale incontesté, est un peu confuse. L’attaque s’engage sur les chapeaux de roue avec un manque de communion incroyable avec les musiciens : manque de respiration ou précipitation ? L’orchestre semble déconnecté, il patine. D’où quelques mesures d’une grande inégalité dans la diffusion des sons. Énergique dans sa battue Lawrence Foster finit par rétablir avec précision l’équilibre sonore. L’ensemble de l’œuvre sera par la suite interprété avec maestria, dans un style irréprochable, par ce chef sobre et perfectionniste, dont les qualités musicales s’exprimeront au fil de la soirée : vivacité des tempi, des phrasés, aide et attention soutenue portée aux chanteurs, élégance du son d’orchestre.
Olivier Hagenloch | © X.D.R
La beauté du décor réside dans son dépouillement et dans l’alternance formidable des éclairages qui mettent en abîme des vides picturaux, dans lesquels l’action se projette, comme une succession d’images cinématographiques. Une passerelle fend l’espace, un peu comme une jetée au bord d’un océan inconnu. Celui de l’ombre et de la lumière, du bien et du mal qui se mêlent et se chevauchent. L’esthétique poétique du merveilleux pour ce conte légendaire est, comme dans un opéra Baroque, riche en personnages fantastiques qui font la part belle à l’enfance et au cirque. Ici, un lion d’or articulé, immense, tendre ; une licorne blanche ; un paon triomphant ; des papillons ; une balançoire suspendue, où chantent les trois enfants ; une flûte qui se déplace toute seule ; mais aussi les mystères d’une citadelle de pierres menaçante qui emplit l’espace. Magnifiés par la musique de Mozart, signes et symboles se suivent pour accomplir l’initiation du public dans une atmosphère claire obscure qui s’empare du plateau.
Deux jeunes récitants font la liaison pour enchaîner les différentes scènes d’une manière assez ingénieuse. Cependant, le texte de Clémence Boulouque et de Jean-Paul Scarpitta parait dérisoire en deçà de la version dialoguée d’Emanuel Schikaneder et minimise trop le caractère ésotérique et initiatique de cette œuvre maçonnique. Cette version retouchée de l’œuvre, avec cette volonté dramatique de défier le temps, tente de faire un lien poétique entre la musique de Mozart et le public d’aujourd’hui. Pari réussi pour certains, raté pour les puristes. Et nombre de serpents ont sifflé sur nos têtes lors des applaudissements…
Le premier tableau m’a fait penser au Satyricon de Fellini, un résidu de culture scarpitienne…. Évanoui dans un parterre de feuilles sombres, le bel éphèbe Tamino reçoit les louanges des trois dames, dont les coiffes semblent défiées l’apesanteur. Frédéric Antoun défend ici un Tamino fier et courageux. Il affronte avec panache les difficultés techniques de son rôle et donne peu à peu le meilleur de lui-même, tout en cultivant ce timbre riche, clair et phrasé tout au long de son interprétation. Le trio des dames est joliment mené, enlevé. Il offre une belle distinction entre les différents timbres de chacune de ses protagonistes. Detlef Roth (Papageno), dont la voix n’est pas très puissante, campe pourtant un oiseleur attachant, très présent scéniquement. Il forme un couple harmonieux, espiègle et charmant avec Malin Christensson (Papagena). La venue de Sandrine Piau (Pamina) est, un pur moment d’extase, hormis le timbre idyllique de sa voix pour le rôle, elle semble se réincarner dans son personnage. Sa prononciation allemande est parfaitement intelligible, sa technique paraît sans faille : aucune difficulté pour cette mozartienne expérimentée. Elle nous offre des aigus d’une pureté céleste et nous livre son talent et sa musicalité avec simplicité et ferveur. C’est une véritable ivresse des sens. On notera aussi la prestation fulgurante de la Reine de la nuit, interprétée par Uran Urtnasan-Cozzoli, et le Sarastro magistral de Petri Lindroos, basse sonore et caverneuse dotée d’une belle projection.
Le reste de la distribution, Vasily Efimov (Monostatos), et les deux prêtres, Marc Larcher et Nicolas Courjal propose une prestation homogène de leur prise de rôle, avec des moments de belle complicité vocale dans le duo des prêtres. Certains tableaux posés, qui rassemblent l’ensemble des personnages, m’ont fait penser à l’ordonnance figée des réunions Franc-maçonnes. Un peu banal, mais l’attraction ambiante pour le merveilleux l’emporte. Et, malgré le choix d’une mise en scène finalement assez classique, simplifiée, très proche d’un conte pour enfant, on ressort ébloui par la magie scarpitienne lumineuse et les éclairages fantasmagoriques d’Urs Schônebaum. La féerie des décors, la noblesse des tableaux, qui inclut ces personnages fantasques avec un instinct raffiné vous donne cette impression délicieuse d’avoir fait un rêve étrange, léger et profond dans le cœur de Mozart. ¶
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Die Zauberflöte (« la Flûte enchantée »), de Wolfgang Amadeus Mozart
Opéra en deux actes
Livret d’Emanuel Schikaneder
Créé à Vienne, au Théâtre Schikaneder,
« Petite salle en bois fréquentée par un public populaire », le 30 septembre 1791
Production de l’Opéra National de Montpellier-Languedoc-Roussillon
Direction musicale : Lawrence Foster
Conception et mise en scène : Jean-Paul Scarpitta
Lumières : Urs Schonebaum
Chef de chœurs : Noélle Genny
Récits : Jean-Paul Scarpitta, Clémence Boulouque.
Distribution
Pamina : Sandrine Piau
Tamino : Frédéric Antoun
Papageno: Detlef Roth
Die Kônigin der nacht: Uran Urtnasan- Cozzoli
Papagena: Malin Christensson
Erste Dame: Anna Maria Labin
Zweite Dame: Christine Tocci
Dritte Dame: Maria Soulis
Sarastro: Petri Lindroos
Monostatos: Vasily Efimov
Drei Knaben: Solistes Opéra Junior
Der Sprecher- Erster Priester- Zweiter Geharnischter: Nicolas Coujal
Zweiter Priester- Erster Geharnischter: Marc Larcher
Marionnettiste: Olivier Hagenloch
Acrobate: Johan Bichot
Photos : X. D.R.
Orchestre national de Montpellier-Languedoc-Roussillon
Chœurs et chœurs supplémentaires de l’Opéra national de Montpellier-
Languedoc-Roussillon
Spectacle surtitré en français
Opéra Berlioz/Le Corum • esplanade Charles-de-Gaulle • B.P. 2200 • 34027 Montpellier cedex 1
04 67 61 67 61
Jeudi 15 octobre et Vendredi 16 octobre 2009 à 20 heures
Dimanche 18 octobre 2009 à 15 heures
De 60 € à 18 €






