« L’histoire du petit tailleur », de Tibor Harsanyi, et « Brundibár », de Hans Krasa, par Opéra Junior. Direction Jérôme Pillement, Théâtre Jacques-Cœur.

wir.skyrock

Ecrit par Praskova Praskovaa

Mai 2011

Allons Enfants de la musique…

 

Le Théâtre Jacques-Cœur de Lattes qui accueillait l’Opéra Junior pour un conte musical et un Opéra, n’en finit pas de nous surprendre par l’audace de sa programmation. En effet, cette scène peu adaptée à la musique, pourvue d’une acoustique mate et délicate, laisse peu de chance à l’amateurisme vocal. Ce sont pourtant des élèves dociles, solistes et chœurs d’enfants guidés par le chef bienveillant Jérôme Pillement et soutenus par une mise en scène flamboyante de Tony Cafiero. Par leur investissement et leur talent, ces enfants ont visité la cour des grands.

En France, cette institution éducative artistique montpelliéraine se démène pour nous offrir, depuis 2002, une production d’exception par an. Quelle chance aura-t-elle de conserver son partenariat avec l’Opéra national de Montpellier ? Ou inversement ! N’oublions pas que cet investissement culturel consenti par l’état et la région donne la possibilité à des jeunes de faire de l’opéra dans des conditions professionnelles optimales. Cette formation des esprits, génère aussi des vocations dans le monde du lyrique, ce qui est déjà un début…

La première pièce, l’Histoire du Petit Tailleur des frères Grimm est écrite par Tibor Hasanyi. Ce compositeur hongrois emprunte quelques notes à son folklore et au Jazz, dans une une forme classique évocatrice et syncopée. Cette composition rappelle beaucoup, dans l’orchestration, la musique française, Darius Milhaud et autres couleurs du groupe des cinq. L’orchestre mené par un chef rigoureux et facétieux est constitué d’une poignée d’instrumentistes solistes du National de Montpellier. Il accomplit, par sa fluidité sonore et son timing en osmose avec les bruitages scéniques, un véritable ouvrage d’orfèvrerie dans cette première partie. Basson, clarinette, trompette, flûte etc., se chevauchent dans une dextérité véloce, en alternance avec le piano, le xylophone et des sons clairs de triangle. Cet orchestre de chambre, somme toute invisible, derrière un rideau clos où apparaissent les ombres menaçantes de ce conte facétieux, manquait néanmoins de l’ombre galvanisante du chef ! Un problème technique d’éclairage, m’a-t-on dit…

L’action et le décor, concentrés sur l’avant de la scène, sont mis en place et animés par le comédien-marionnettiste Alban Thierry. Déluré et enjoué, actionnant des marionnettes grandeur nature, dans un établit démesuré et propret de tailleur, celui-ci semble s’amuser autant que les spectateurs. Cela donne aussi l’impression de voir la chambre bien rangée d’un enfant mis à sac par ses jeux inventifs. L’action est Tonique avec des contrastes d’ombres et de lumières, un peu comme dans un Walt Disney où les éléments du décor s’animent peu à peu. Les pelotes de fil deviennent des personnages : le Petit Tailleur, le Roi, la Reine, la Princesse, les Courtisans ; l’étoffe devient le tapis rouge des honneurs, la boite à couture carrosse, les fers à repasser, chevaux etc. Notre comédien caracolant et piaffant à la manière des Monty Python est hilarant, inspiré et distrayant. Le public sourit béatement dans cette pseudo-intimité, où l’établit finit dévasté par le combat des deux géants (mannequins de couture surdimensionnés).

Sans réelle coupure, le plateau est envahi progressivement par des enfants sortant du ghetto de Varsovie pour débarrasser le chaos. En pardessus sombres et casquettes, ils sont précédés par d’autres enfants qui envahissent le théâtre de toute parts dans un vacarme assourdissant, un peu comme dans une cour de récréation. Un enchaînement très réussi qui implique l’auditeur, le bouscule, le réveille de sa léthargie tranquille où l’avait plongé ce conte désuet.

 Une réalité qui donne froid dans le dos

La seconde pièce nous fait basculer dans une réalité qui donne froid dans le dos. Elle a été créée en mémoire des enfants juifs internés dans le camp de Terezin. L’Opéra Brundibar est également un projet éducatif fort initié par René Koring et Jérôme Pillement. On peut d’ailleurs visionner sur Internet, la prestation des enfants juste avant leur départ pour les camps de la mort.

Le rideau s’ouvre enfin sur une verrière dans le style allemand légèrement cubiste des années 1930. Du côté droit, en demi-cercle, trône une estrade surélevée, sous des lustres blancs très viennois. Là, on découvre enfin le chef et un petit orchestre, un peu comme dans une salle de bal. La musique de Hans Krasa est rythmée dans son allure –  on a même droit à un passage de percussions en solo. Très variée dans ses couleurs, on y trouve un accordéon et une guitare. Marqué mélodiquement par le style faussement gai de ses années noires, elle sonne sirupeuse et nostalgique. Les chœurs sont sobres, narratifs, allègres ou tendres, avec notamment cette berceuse languissante que chante les enfants dans une couleur magnifique. Les jeunes artistes se déploient avec panache dans une chorégraphie virevoltante de Tony Cafiero. Celui-ci utilise toutes les capacités de ces jeunes, physiques des emplois, parties dansées, couleurs de voix mélangées, mouvements de scène divers, déguisements féériques, etc. Pas de temps morts, les situations s’enchaînent avec brio.

Le travail vocal de l’ensemble est en place, joliment présenté avec quelques timbres qui se démarquent du lot. Néanmoins, ces voix pubères manquent encore de projection et de technique. C’est immédiatement ressenti dans cette acoustique fine sans écho. Il n’est pas normal tout de même que les passages parlés soient si bien plus articulés et audibles, et que les passages chantés, même dans une langue étrangère, ne soient pas dans la même intensité. Par ailleurs, la justesse n’est pas toujours au rendez-vous, faisant évoluer les voix dans une homogénéité relative. Heureusement, le happy end de l’œuvre, la joie, et le succès de nos petits chanteurs devant un public très familial gomme les petits défauts. Allons enfants…  

 

Praskova Praskovaa

 

Opéra junior

Direction musicale : Jérôme Pillement

Mise en scène : Toni Cafiero

Décors : Eric Soyer, Toni Cafiero

Chorégraphe : Léonardo Montechia

Costumes : Jane Joyet

L’histoire du Petit Tailleur, de Tibor Harsanyi

Comédien : Alban Therry

Décors et accessoires : Romaine Duverne

Brundibar, de Hans Krása

Création 2011

Livret de Hoffmeister

Direction des Chœurs : Vincent Recolin, Marie-Paule Nounou

Avec le Chœur d’enfants et solistes Opéra Junior

Orchestre National de Montpellier Languedoc-Roussillon

Coproduction Opéra Junior/ Opéra et Orchestre national de Montpellier- Languedoc-Roussillon / Scène nationale de Sète et du Bassin de Thau

Théâtre Jacques-Cœur – Mas d’Encivade – 34000 Lattes

Réservations : 04 67 601 999

http://www.opera-montpellier.com

Vendredi 20 mai, samedi 21 mai à 21 heures

Durée : 2h10

14 €

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