Orchestre Simon-Bolivar du Venezuela, Philharmonique de Radio France. Direction Gustavo Dudamel. Salle Pleyel, Paris.

Orchestre Simon Bolivar du Venezuela | © Bryan Reinhart

Ecrit par Praskova Praskovaa

Oct 2009

Fantastique Dudamel

 

L’arrivée tant attendue du jeune chef de 28 ans Gustavo Dudamel, qui vient d’être nommé à la tête du Philharmonique de Los Angeles, a déclenché un état de siège à la billetterie. La médiatisation exacerbée de ce talent singulier, qui arrive en France avec son Orchestre Simon-Bolivar de 205 musiciens âgés de 12 à 26 ans, sollicite les néophytes passionnés d’intégration, et le milieu musical français quelque peu réactionnaire. En effet, le résultat de l’enseignement prodigué à ces jeunes venant des favelas est stupéfiant.

Dudamel apparaît dans un mouvement de boucles brunes souples encadrant un visage épanoui d’enfant cocasse. Malgré cela, le jeune chef en impose : sans partition, il s’approprie ce soir son orchestre et celui de Radio France.

Ravel ouvre le bal avec Daphnis et Chloé interprété par le philharmonique de Radio France. La première partie dans une battue quasi extatique développe son immense crescendo venant des graves abyssaux aux aigus étincelants. Cette houle dense que Dudamel impose par l’amplitude sereine de sa gestuelle déconcerte par sa force intérieure. Dans une sobriété étonnante le chef anime la masse orchestrale dans une palette sonore substantielle où irradie chaque couleur individuelle. La version surprenante qu’il nous livre dans la seconde partie outrepasse la qualité sonore de l’orchestration ravélienne, au profit d’un emballement rythmique beaucoup trop voyant. Mais quelle mouche a piqué le maestro ? Le tempo infernal qu’il inflige aux amours champêtres de Daphnis et Chloé pousse les instrumentistes dans leur retranchements techniques et entraîne le son d’orchestre au bord de la faillite. Dudamel jubile…En guise de ballet, il danse et lévite : l’univers ravélien se révèle soudainement latinisé. Daphnis va mourir d’épuisement… Très décevant !

Le Philharmonique est rapidement remplacé par l’Orchestre Simon-Bolivar composé de 2005 jeunes muchachos aux teint mat, cheveux ébène, débarquent sur scène l’air réjoui. Un contraste étonnant avec l’Orchestre traditionnel qui vient de quitter le plateau.

  « Santa Cruz de Pacairigua », de Castellanos | © Bryan Reinhart

La Suite symphonique de Castellanos, parfaitement adaptée à la formation, va permettre au chef de montrer toutes les qualités instinctives et techniques de ces gringos à travers la variété rythmique et le langage orchestral rigoureux de cette pièce. L’orchestre déploie plusieurs atmosphères sonores, de la valse vénézuélienne enfiévrée à une procession religieuse. On y perçoit le cœur battant de ces jeunes musiciens et leur enthousiasme pour cette musique, qui est une bouffée d’air pur.

Après l’entracte, le défi de réunir dans la Symphonie fantastique de Berlioz deux forces opposées, culture et génération confondues, offre la symbiose de ces deux orchestres de 300 musiciens entre tradition et instinct. La version stupéfiante que nous offre Dudamel, avec notamment 12 contrebasses, donne une vision renouvelée de l’ouvrage. L’application extrême à mener, maîtriser, et dompter l’ensemble l’oblige à se surpasser devant un public ébahi. Le contenu thématique, harmonique et rythmique est proposé dans une clarté d’émission incroyable et une précision presque pédagogique, dépassant même l’écriture à travers le souffle volcanique du maestro. Sa direction est d’une distinction sans pareille jusqu’à la jubilation du sabbat. Quant à ses mimiques, elles reflètent tous les élans romantiques de la passion, celle d’un seul orchestre qui se transcende pour un chef hors du commun.

Après avoir porté à un tel niveau cette prestation, que pouvait-on attendre de plus ? Un peu de légèreté peut-être… Ce concert très sérieux s’achève alors sur l’hymne de joie habituel de l’orchestre vénézuélien : le mambo tonitruant et coloré qui fait danser les contrebasses. Étonnant, ce petit côté féria à Pleyel !           

 

Praskova Praskovaa

Les Trois Coups

 

Daphnis et Chloé suite nº 2, de Maurice Ravel

Santa Cruz de Pacairigua, de Evencios Castellanos

Symphonie fantastique, d’Hector Berlioz

Orchestre Philharmonique de Radio France et Orchestre Simon-Bolivar des jeunes du Venezuela

Direction : Gustavo Dudamel

Salle Pleyel le 23 octobre à 20 heures

www.sallepleyel.fr

Coproductions Salle Pleyel / Radio France

160 € à 10 €

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