Messieurs, est-ce bien raisonnable et sérieux ?
Soirée sourire au Théâtre des 13-Vents avec une comédie de moeurs délectable d’Oscar Wilde, « l’Importance d’être sérieux ». S’appuyant sur une traduction renouvelée et inspirée de Jean-Marie Besset, Gilbert Désveaux nous livre une mise en scène sobre et raffinée. Un hommage certain au chant du cygne de l’auteur déchu, qui nous dévoile avec cynisme les failles subversives de la société victorienne.
A la ville… C’est sur un salon néogothique que s’ouvre ce premier acte. Dans un décor luxueux, l’œil s’y prélasse en se laissant bercer par des intrigues diverses sans réelle importance. Accentuant la profondeur du plateau, un grand rideau blanc gaufré s’allonge vers une petite porte aux vitraux colorés d’où émerge le son d’un Pleyel au diapason feutré. Comme mobilier, une échelle de bibliothèque en équerre chargée d’ouvrages nous évoque quelques noms d’outre-tombe : Conan Doyle, Dickens, Darwin… Une méridienne rouge et un chariot à mets, où le toast au concombre est roi, donne également ce côté cossu et désœuvré au mode de vie qui trône ici.
Pour autant, notre attention se concentre plutôt surtout sur l’inflexion verbale des phrases, qui semblent sortir d’un livret d’aphorismes savoureux. L’adaptation de Jean-Marie Besset apporte une touche personnelle au texte, par un subterfuge ingénieux qui lui permet de substituer l’adjectif constant par celui de sérieux et d’en tirer toute la substantifique moelle. En effet, sérieux se disant « earnest » en Anglais donne Ernest pour le nom du mari idéal, mais fait également référence au nom de code, entre eux, des homosexuels de l’époque. La pièce évolue d’ailleurs dans une légèreté ambivalente constante : « Je m’appelle Jack à la ville, Ernest à la campagne… », ou : « Tu n’as pas l’air de te rendre compte qu’une vie de couple est beaucoup moins amusante à deux, qu’à trois. », dit Algeron à Jack.
Présence éclatante de Claude Aufaure
La distribution est magnifiée par la présence éclatante du comédien de renom Claude Aufaure, travesti pour l’occasion en Lady Bracknell. Guindée, imposante, intransigeante mais respectable, La Lady imprime son rythme au plateau, obligeant les autres comédiens à se surpasser. Arnaud Denis (le maître des lieux, Algernon Moncrieff), campe un dandy immoral grinçant, superbe. Pédant, menteur, Algernon est imprégné de ce mode de fonctionnement hypocrite qui régit cette société mondaine en déliquescence, où il surnage. Fuyant les convenances, il s’invente même un alibi : l’Ami, l’invisible à la santé déplorable, Bunbury. Despotique, il harcèle son imperturbable valet, l’excellent Matthieu Brion, affable à souhait et parfaitement à l’aise dans cette ambiance décadente. Concernant Arnaud Denis, on est un peu déçu par une prestation aussi réaliste dans l’allure de son personnage désabusé et laxiste, qui oublie, par moments, une intonation proprement théâtrale. Malgré cela, son duo de débauché avec son ami Jack Worthing, Mathieu Bisson opère à merveille. L’un est blasé et pervers, l’autre vibrant et déboussolé, les deux frisant l’excès dans des positions intimes et gênantes. En outre, Jack est aussi impliqué dans ses épanchements amoureux que noyé dans ses incertitudes.
Gwendolen Fairfax (Marilyne Fontaine), sa promise, a la taille et la voix élevée des éducations corsetées. Dotée d’un caractère trempé, elle est parfaite dans sa tenue. La jeune actrice prend à bras le corps cet instant de vaudeville espiègle. Concernant sa mère, la Lady de Claude Aufaure, on ne peut que s’incliner devant un artiste aussi doué, le rôle de l’acteur étant certainement de rendre intelligible l’évidence. Donnant une lecture très « opéra » de son personnage, il use de son organe comme d’un glaive autoritaire. Algernon dit d’ailleurs à son propos : « Je ne connais personne carillonnant d’une manière aussi wagnérienne ! ». Sa présence vocale est volontairement grandiloquente allant, d’un timbre ferme et perché aux graves sentencieux. Empesé dans une robe violette étroite, il domine l’espace scénique par son maintien raide et hautain, qui lui confère une dimension tragique.
Un duo attachant
A la campagne… Ce deuxième acte propose un décor pittoresque d’arches en fer forgé blanc ouvrant sur un jardin intérieur ressemblant un peu à une cage d’oiseau. Mlle Cecily Cardew, la pupille de Jack, perchée sur une table, arrose les fleurs, prête à s’envoler. Une escarpolette donne cette impression d’envol, de mouvement propre à l’œuvre, de swing propre à l’œuvre et à la mise en scène enlevée et sensuelle de Gilbert Desveaux. Mathilde Bisson (Cécily), sauvageonne pieds nus, est ravissante. Lady Bracknell lui dit justement : « … vos cheveux sont un peu comme la nature les a laissés. ». En tout cas, la comédienne semble s’être emparée de son rôle avec grâce, et on ne se lasse ni de l’écouter ni de la regarder se mouvoir. Avec Mlle Prisme, sa gouvernante (Margareth Zenou), elles forment un duo attachant. La seconde prestation de Claude Aufaure en Révérend Chasuble nous laisse perplexe. Celui-ci est-il vraiment celle-là ? Derrière un maintien effacé, une voix doucereuse s’échappe de ce bon samaritain roué et licencieux. De son côté, Matthieu brion a droit à un second rôle exagérément sexy. Il ressemble plus à un giton qu’à un garçon de ferme robuste !
Malheureusement, le dernier acte s’essouffle un peu.Tardant à venir, le dénouement entraine des fautes d’intention ou d’attention de la part des comédiens. Mlle Prisme ne convainc plus dans son jeu de victime ; Gwendolen se laisse déborder par une camaraderie familière envers Cécily sa pseudo-rivale ; Algernon relâche son jeu au point d’avoir un ton télévisuel de série B. Cet alanguissement général donne un côté prévisible aux évènements qui surviennent, banalisant le happy end au point de lui donner un côté un peu mièvre. Malgré ce dernier tableau qui s’étire sans conviction, on ressort charmé de ce détour en ville via la campagne. On emporte dans notre mémoire, pour notre « journal intime », quelques phrases intemporelles de ce grand auteur, Oscar Wilde, et la nostalgie de quelques ritournelles démodées, celles d’un vieux piano chic un peu désaccordé. ¶
Praskova Praskovaa
L’Importance d’être sérieux, d’Oscar Wilde
Pièce en trois actes,
Nouvelle traduction de Jean-Marie Besset
Mise en scène : Gilbert Désveaux
Collaboration artistique : Régis de Martrin-Donos
Scénographie : Gérard Espinosa
Costumes : Alain Blanchot
Lumières : Martine André
Son : Serge Monségu
Maquillage : Agnés Gourin-Fayn
Avec
Claude Aufaure (Lady Bracknell / Révérend Chasuble)
Mathieu Bisson (Jack)
Mathilde Bisson (Cécily)
Matthieu Brion (Lane)
Arnaud Denis (Algernon)
Marilyne Fontaine (Gwendolen)
Margaret Zenou (Mlle Prisme)
Merci à
Nathalie Decorde (piano)
Marc Ginot (photo)
Production Théâtre des 13 vents CDN Languedoc-Roussillon Montpellier
Théâtre des 13 vents • Domaine de Grammont. 34965 Montpellier
Réservations : 04 67 99 25 00
Du 15 au 26 janvier 2013 mardi, jeudi, samedi 19 heures, mercredi, vendredi 20 h 30
Durée : 1 h 45
7 € – 24 €





