Dans la loge de … René Koering, surintendant de la musique à l’Opéra et l’Orchestre national de Montpellier-Languedoc-Roussillon

René Koering, compositeur, gestionnaire | @ Marc Ginot et Opéra de Montpellier

Ecrit par Praskova Praskovaa

Juin 2010

René Koering, le visionnaire gestionnaire

 

 

C’est à l’occasion du changement de direction à la vie musicale montpelliéraine en 2012 que j’ai souhaité rencontrer René Koering.

Depuis 1985, le surintendant de la musique gère l’Orchestre, les deux Opéras de la ville et le Festival de Radio-France. Charismatique, doté de tous les talents, il est tour à tour compositeur, metteur en scène, gestionnaire, producteur et programmateur de génie. Il fascine son monde et communique une autre idée de la musique. Alternant de nouveaux répertoires et la tradition, il enrichit le patrimoine musical d’une pointe de facétie et d’anticonformisme. Il est une figure inévitable de notre monde musical français.

Digne, excentrique, avant-gardiste, sobre et talentueux, d’une curiosité insatiable, c’est un homme d’action, un bâtisseur. Devançant les idées, innovant sans cesse, il mène une quête perpétuelle : celle d’offrir au plus grand nombre la possibilité de pénétrer le monde trop élitiste de la musique classique et de l’opéra. Rien ne saurait corrompre son goût de partage et son amour pour la musique. Il a fait de Montpellier une place musicale forte et un rendez-vous estival évènementiel qui draine un large public d’aficionados.

Praskova – Monsieur Koering, quel a été votre premier choc musical et quel genre d’enfant musicien étiez-vous ?

René Koering – Le premier choc était ma mère jouant du piano. Au collège, élevé chez les jésuites, je voulais me distinguer des autres, car j’étais timide et ne participais pas aux rencontres de football. Du coup, les autres enfants se moquaient de moi. J’ai donc trouvé un système pour avoir une vie plus personnelle, plus attrayante : jouer du piano. Pour me démarquer un peu plus, je jouais aussi de l’orgue à l’église, ce qui me permettait d’être avec des adultes. Après, j’ai voulu être peintre, mais ma peinture n’était pas extraordinaire, je suis donc resté musicien.

Praskova – Dans quelles circonstances avez-vous quitté Radio-France, et quelle a été votre motivation pour avoir accepté ce poste-là ?

René Koering – Je n’ai pas eu le choix. J’étais venu en 1985 pour diriger le Festival de Radio-France. En 1990, Georges Frêche m’a dit que la situation devenait difficile et qu’il fallait que je vienne l’aider. Je n’avais qu’à déplacer mes bureaux de Paris et m’installer ici pour faire fonctionner l’orchestre. Qu’allais-je lui répondre ? De toute manière, le travail ne me fait pas peur, c’est la seule chose que j’aime faire dans la vie. Je ne prends pas de vacances : pour quoi faire ? Par la suite, il m’a demandé de m’occuper de l’opéra, j’ai accepté. Je l’ai fait, mais maintenant je veux passer à autre chose, j’en ai assez.

Praskova – Êtes-vous las de votre labeur, ou est-ce le climat incertain avec votre successeur Jean-Paul Scarpitta qui vous pèse ?

René Koering – J’ai nommé mon successeur, mais je me suis trompé. Il est vrai que je me suis marié 4 fois, donc je suis un peu naïf. Cela étant, j’aimerais mettre à la tête de l’Orchestre de Montpellier quelqu’un qui ne confond pas un cor anglais avec un cor des Alpes. Quoi qu’il en soit, je pars le 1e janvier 2012, car j’ai un autre contrat à honorer. Même si ce n’est pas mon successeur qui me succède, je m’en vais. Je garderai juste le Festival de Radio-France. Je ne resterai pas non plus conseiller artistique. Soit on est là, soit-on ne l’est pas ! Mon successeur fera mon travail, aidé par Marco Perrez Ramirez à la programmation. Pour l’anecdote, lorsque j’ai quitté Radio France, on m’a demandé de nommer mon successeur. Mon adjoint était formidable, je l’ai proposé : il a tenu sept mois. Comme vous voyez, je n’ai aucun talent pour choisir mes successeurs…

Praskova – Envisagez-vous de changer de directeur musical ?

René Koering – Ce n’est pas à l’ordre du jour, le contrat de Lawrence Foster prend fin en 2013. Friedman Layer parti, je ne voulais pas donner l’orchestre à un jeune comme Alain Altinoglu, qui fait une carrière magnifique à l’étranger, et c’est très bien pour lui. Alexander Vakoulski est un chef à part, de très grande qualité. Il dirige à merveille certaines œuvres, mais il n’y a pas que le talent qui compte pour diriger un orchestre. On ouvre la porte à quantité d’autres choses. Diriger un orchestre, ce n’est pas autre chose que faire de la politique. Je parle de politique musicale, car on entre alors dans un circuit privilégié, avec des produits, des solistes, des contacts et des contrats que l’on n’aurait pas sans cela.

Praskova – Après le concours Svetlanov de chefs d’orchestre, on constate que l’Orchestre créé par vous-même est à son plus haut niveau. Quel est votre regard sur son évolution et sur l’avenir des chefs lauréats ?

René Koering – Tout le monde respecte cet orchestre, nous avons fait 47 disques. Malgré cela, si Claudio Abbado voulait le diriger, il ne pourrait le faire. Je m’explique : il y a un système de marketing qui fait qu’un chef signe avec 5 orchestres et il n’en dirige pas 6. S’il vient diriger à Montpellier, sa côte tombe, et 15 autres orchestres aussi bons que le nôtre vont exiger de lui qu’ils viennent les diriger. Donc, la situation est délicate, et c’est exactement comme si on disait : ” Je vais faire venir Karajan, en oubliant qu’il est mort.”.

A propos des jeunes chefs (voir Le Combat des Chefs) que nous avons entendus, je pense que le gagnant Andris Poga réussira. Tout est musicien en lui, ces mains sont musicales, l’orchestre, même énervé, comprend tout ce qu’il veut. Alstaedt est très capable, il peut tout aborder. Hindoyan bénéficie de la vogue vénézuélienne avec le phénomène Dudamel. Il est dans l’air du temps.

René Koering | © Marc Ginot et Opéra de Montpellier

René Koering | © Opéra de Montpellier

Praskova – Votre œuvre est éditée aux éditions Salabert et la composition est une partie importante de votre carrière, avez-vous encore des projets d’écriture ?

René Koering – Oui, bien sûr, j’écris un opéra pour Monte-Carlo pour l’année prochaine, et j’ai beaucoup de commandes en attente. Je suis insupportable, car si je n’écris pas dans l’urgence, je n’écris pas. L’inspiration n’est pas un problème, je suis comme Rossini, je mets en route et ça vient. Mais je suis fainéant, même s’il n’y a qu’un moyen pour me faire écrire une partition : c’est de me payer. Tous ceux qui me connaissent le savent. Il n’y a vraiment qu’une seule façon de m’obliger, et puis … j’ai une passion pour les voitures.

Praskova – Préférez-vous que l’on vous admire en tant que gestionnaire ou en tant que créateur ?

René Koering –  J’ai beaucoup appris avec Boulez, il m’a appris à gérer. A partir du moment où j’ai un but, qu’est-ce que je fais ? La gestion est un problème intellectuel, elle permet de ne pas regarder l’œuvre comme un illuminé mais comme une chose à gérer. Comme ce ne sont pas les droits d’auteur qui me faisaient vivre en 1960, j’enseignais l’acoustique pendant deux ans à l’École des beaux-arts. Malheureusement, j’ai horreur d’enseigner. A vrai dire, je préférais faire de la radio, et c’est ainsi que je suis rentré à Radio-France. Voyant le travail que j’accomplissais, on m’a vite proposé de devenir directeur. En fait, je me suis attelé à ce travail parce que cela me permettait de vivre selon mon goût. Je pouvais écrire aussi et en toute sérénité, sans mettre ma famille en péril. Je veux que l’on comprenne bien que les deux choses sont importantes pour moi : mon travail et ma place dans la création.

Praskova – Donc, concernant la création ?

René Koering – Je suis infiniment prudent, et j’ai des connaissances extrêmement importantes. Par ailleurs, je suis doté d’une mémoire phénoménale bien que je ne fasse aucun effort. J’écris sur table au crayon noir, la couleur du noir est essentielle, ainsi que le grain du papier et l’espacement entre les lignes, sinon je suis bloqué. De toute façon, l’artiste n’est pas fait pour réussir. De tous les artistes qui ont vécu, on ne connait qu’une infime partie. Un artiste ne peut se définir par son succès même si beaucoup d’entre eux flattent le public pour l’obtenir. Mozart disait : ” J’écris deux sortes de musique, celle pour les amateurs, celle pour les connaisseurs “. En tant qu’artiste, je n’ai pas à me préoccuper du résultat. L’œuvre est là, je suis content que cela se termine, et cela me libère. La preuve : je n’ai qu’un manuscrit de moi ; les autres, je les offre à mes amis. Je vais rarement aux répétitions de mes ouvrages, parfois à la générale. Et, franchement, je n’ai pas l’intention d’aller jusqu’à Salzbourg pour écouter une de mes œuvres, que je connais déjà par cœur.

Praskova – Vous avez aussi la réputation d’être un bon chef cuisinier. Quel serait pour vous le dîner idéal ?

René Koering –  C’est vrai en partie : je fais la cuisine deux fois par jour. Vous savez, j’ai invité l’orchestre à dîner, 120 personnes J’ai même fait le service avec mes deux aides. J’avais très envie de faire la cuisine pour eux. Ils étaient sidérés, ils m’ont même demandé si j’avais quelque chose à leur annoncer ou à leur demander. Je leur ai préparé : un foie gras, un agneau au four de trente-six heures, un veau au four de douze heures et une tatin. J’ai l’intention de le refaire pour le Festival, j’aime faire plaisir.

Praskova – Auriez-vous une phrase qui vous porte ?

René Koering – ” J’ai connu toutes les déchéances, y compris le succès” (Cioran).

 

Praskova Praskovaa

Les Trois Coups

 

 

 

René Koering

Surintendant de l’Opéra et l’Orchestre de Montpellier – Languedoc – Roussillon

CS 89024* 34967 Montpellier cedex2

11 boulevard Victor Hugo * 34000 Montpellier
Tel : 04 67 60

http://www.orchestre-montpellier.com/
Photo : @ Marc Ginot et Opéra de Montpellier

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