« Richard III », de William Shakespeare. Théâtre de l’Etreinte, mise en scène William Mesguich

Richard III, Duc D'York, William Mesguich, con cousin, Duc de Buckingham, Oscar Clark © Praskova

Ecrit par Praskova Praskovaa

Fév 2025

Théâtre le Kiasma de Castelnau – le – Lez

 

Deux William pour une couronne

 

Une tragédie au noir renversante pour un face à face herculéen entre deux créateurs. Qui célèbre au mieux cette harangue morbide et fielleuse où se déploie l’ignominie pour la conquête du pouvoir ? Sont-ce les mots de l’auteur qui éreintent notre esprit où, la déclamation et l’incarnation péremptoire de son «Hérault» et metteur en scène qui étreint notre cœur ?

Fin du XV ème siècle, la guerre des Deux Roses a pris fin. Édouard IV règne sur l’Angleterre mais son frère Richard Duc de Gloucester conspire.

Une scène vide et sombre accueille les onze premières minutes foudroyantes du monologue de Richard. Sous une aura de lumière, William Mesguich apparait tel un gladiateur. Harnaché de lourdes frusques, la démarche entravée par des liens contraignants sa cuisse, il investit avec détermination le champ théâtral de sa difformité pathétique. Brusque dans ses mouvements d’humeurs, “Demain, selon moi est trop soudain.”, tête basse, mauvais mais incandescent, il clame son Credo : celui d’un misérable paria dénué de conscience… “ La conscience n’est qu’un mot à l’usage des lâches, inventé tout d’abord pour tenir les forts en respect.”

En pitié de lui-même, il brave sa solitude d’avorton déchu. Fulminant, il provoque son combat d’une voix surpuissante. Le registre est grave, sauvage, nasillard et mordant. Le public happé par ce flot de grogne malfaisante qui anéanti l’espace et le temps est assommé. Proche de l’aphonie, arrachant les verbes de sa bouche violette acariâtre, il donne à cet effort musculaire considérable, la projection de celui que déploie un artiste lyrique. Deux représentations dans la même journée. Quel orateur, oserait le tenter de cette manière ? Et ce, dans cette extrapolation forcenée qui convient tant à l’incarnation de ce dégénéré sanguinaire, dont on connait l’ultime postérité ?

Dans cette atmosphère délétère, au travers d’un voile de fils pourtant soyeux, on imagine les contreforts menaçants de la tour de Londres. George, premier dans la succession, engeôler par son frère Richard, git endormi sur le sol dont on perçoit, peu avant son assassinat, l’effet glacial. Il faut noter à cet effet et tout au long du spectacle, le travail sensoriel, auditif et visuel exceptionnel accompli. Que ce soit sur le plan des lumières de William Mesguich, des vidéos d’Alfredo Trosi, des créations sonores de Maxime Denis, sans oublier le choix musical formidable, apportant un supplément d’âme et d’émotions à l’action.

A propos d’un autre Richard, c’est une fresque épique aboutie au sens wagnérien de l’œuvre d’art totale que nous livre cette troupe de huit comédiens en symbiose, se surpassant pour se travestir en vingt-cinq individus distincts.

En effet, ponctué d’arrêt sur images, les acteurs vêtus de noirs se révèlent perfides et ardents. Ils se fondent et se chevauchent pour accomplir leur destinée inéluctable, précipitant ou restreignant au mieux le chaos annonciateur. Tour à tour, leurs voix claires et projetées surgissent dans un éclairage blafard. Éparses, des salves de brumes laiteuses révèlent leurs faces blêmes et maladives. On salue d’ailleurs la pertinence harmonieuse des costumes d’Alice Touvet dont seuls, coiffures ou couvre-chefs animent l’expression maussade et marquée des intervenants.

Chacun évolue ou se fige à l’intérieur de tableaux fantasmagoriques, dont l’esthétisme rappel celui de grands maîtres. Peut-être, « Le sommeil d’endymion » de Girodet, le souvenir incertain d’une toile de Bosch, où le rappel subtil des rosaces de la Cathédrale de Westminster… Par tant de subtilités théâtrales on se sent imprégné du lieu, comme aspiré dans le récit, jusqu’à percevoir le murmure insondable d’un Tuba mirum qui gronde sournoisement dans les entrailles de l’histoire.

On pourrait se laisser berner par ce manipulateur pervers qui, au gré des besoins, fragilise sa voix jusqu’à un fil suraigu angoissant. Voûté, perdant de sa superbe, il sait se faire suave, presque déchirant pour n’être que plus perfide. Sans états d’âme, il fomente dans son esprit malsain les désirs charnels et trompeurs qui s’immiscent en lui. Lady Anne, Madeline Fortumeau, lui succède sur le plateau. Elle force le respect devant son interprétation touchante et digne de veuve. Belle, crédible, elle enchaine le propos par une supplique pleine de haine qui vibre d’un charisme poignant.Difficile pourtant, de ne pas faillir un court instant aux avances intrépides et démoniaques du Duc.

Serait-ce enfin une repentance anticipée dans cette nef gothique sublime, alors que genou à terre à demi prosterné, bible minuscule en main, Richard rumine dans un flux musical de chœurs célestes ? Palestrina, peut-être…. Non, ! Le sifflement sinistre redondant de la hache s’évertue à nous réveiller.

Au cœur de cette distribution étonnante, Oscar Clark, Duc de Buckingham signe sa partition avec emphase. Cousin et faux allié de Richard, il soigne son élocution pernicieuse qui fuse de ses lèvres écarlates tel des jets de félonies. Son allure empruntée confère d’ailleurs à sa traitrise bafouée des derniers instants, un goût d’amertume.

Ce fut une salle comble suspendue au temps. Un public idéal pour une fable historique immersive. Me concernant, accrochée aux cintres depuis 1h50, il fallut redescendre. Après Hamlet, Macbeth, La tempête, etc. Je pensais qu’avec l’habitude de ce Schakespeare là, par ce Mesguich là, ce serait moins percutant. Que nenni, et puisque le roi est mort, vive le roi ! ¶ 

 Praskova Praskova

 

Richard III, de William Shakespeare (1864 – 1616)

Texte original King Richard III, traduit par Jean-Michel Désprats

Compagnie William Mesguich. Le Théâtre de l’Étreinte

Mise en scène et création lumières / William Mesguich
Assistante de mise en scène / Estelle Andréa

Distribution / Betty Pelissou, Alexandre Bonstein, Xavier Clion, Oscar Clark, Madeline Fortumeau, Alain Guillo, William Mesguich, Nadége Perrier, Thibault Pinson.
Costumes / Alice Touvet
Vidéos / Alfredo Trosi
Créations sonores / Maxime Denis
Le 4 février 2025
Durée / 1h50
Tout public et scolaire
Tarifs / 19€, 16€,10€,8€

Le Kiasma
1 rue de la Crouzette
34170 Castelnau le Lez
Réservation : 04 67 14 27 40
https://www.lekiasma.fr/

Reprise tous les mardis à partir du 20 septembre 2025 au Théâtre des Gémeaux Parisiens, 15 rue du Retrait. 75020 Paris,

Réservation / 01 87 44 61 11

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