Philharmonique de Radio France, direction Myung-Whun Chung, piano Seong-Jin Cho, Philharmonie de Paris.

Myung-Whun Chung | © brescia e Amisano

Ecrit par Praskova Praskovaa

Fév 2019

Myung-Whun Chung, le tao du bonheur 

La Philharmonie de Paris reçoit le Philharmonique de Radio France pour un concert prestigieux dédié à Tchaïkovski. Ce programme trouve son originalité en présence d’un trio d’artistes coréens en symbiose. Des têtes d’affiche audacieuses, pour honorer le compositeur avec l’ancien directeur musical de l’orchestre, Myung-Whun Chung, le jeune concertiste en vue Seong-Jin Cho, et la violoniste super-soliste, Ji-Yoon Park, nouvelle recrue de la phalange.

effet, cette programmation dont la hardiesse débutait par le concerto de piano N°1 en si bémol mineur op.23 de Tchaïkovski, ne m’a pas semblé judicieuse quant au choix de son exécutant. Malgré une prestation prometteuse par le prodige de vingt-quatre printemps Seong-Jin Cho, idole montante du clavier à la technique irréprochable, il n’en reste pas moins que le choix de cette pièce demeure une rude épreuve. Une œuvre écrasante, en dépit de l’engagement absolu de cet artiste angélique, talentueux, élégant .

Affrontant inévitablement le choc du premier mouvement, Seong-Jin se voit dans l’obligation de surévaluer son intensité sonore, jusqu’à décoller de son séant afin d’habiter le joug des traits, et celui d’un legato maestoso insuffisant.. Cet effort musculaire intensif immédiat, entraîne un état d’incertitude, quant à l’énergie nécessaire à fournir pour achever ce mouvement magistral, sans se tarir. Parvenant avec brio à optimiser son labeur, il convient d’être ébahie par cette démonstration impeccable, oscillant entre élans d’agressivité et délices sonores. C’est plutôt au second mouvement dans un tempo lent, que cet artiste se révèle dans sa simplicité et son approche sensorielle. Plus à sa dimension, il nous envoûte par un stratagème d’intonations fluides et perlées. Le doigt vite au fond de la touche, il imprime sa signature, distribuant les sons avec délicatesse et sensualité. Cependant, l’esthétique romantique allargando de ce passage, sonne de plus en plus impressionniste. Une perception suave, mais trop éloignée de la pâte romantique attendue propre à ce répertoire. C’est à fortiori, lors du dernier mouvement, arraché avec un certain panache et beaucoup de courage, que Seong-Jim parvient encore à éblouir l’assistance. Soutenu par la cadence échevelée de l’orchestre sans effets de rubato, il est royalement porté par la direction sobre et cadrée de Chung, qui à mon sens à compris le problème. Ce chef s’adapte parfaitement au jeu, et aux capacités actuelles du jeune soliste. Un travail remarquable certes, mais une montagne sacrée à gravir, l’obligeant à se surévaluer et à bousculer une nature faite, à coup sûr, pour d’autres univers musicaux mieux appropriés : Debussy, Ravel, etc. C’est à ce propos, lors d’un bis épuré offert au public, que la perception de cette volonté illimitée s’est effacée au profit d’une respiration libérée, souple, dans une atmosphère fluide et détendue; celle de son émotion pure afin de nous ravir.

Seong-Jin Cho - Pianiste, Philharmonie de Paris. Direction Myung-Whun Chung | © Brescia e Amisano

 Seong- Jin Cho – Pianiste

Après l’entracte, l’entrée du chef charismatique Myung-Whun Chung est vraiment différente. L’orchestre au complet est attentif. La perception spirituelle qui se dégage du climat ambiant, est proche de celui d’une grande messe. Les instrumentistes accoutumés aux exigences et aux qualités incroyables de leur directeur musical, paraissent en apnée de ce qui va suivre. Le public bourdonne comme une ruche. La tension augmente jusqu’à un silence pesant. La Pathétique, chef d’œuvre tant attendu pour un moment de bonheur musical à vivre. Avec ce chef-ci, ou ce chef-là, il y a  tant de différences musicales possibles qui peuvent éclore de cette musique formidable. Un voyage éternel vers l’inconnu, avec la prémonition latente de ce moment ; la version d’untel, ou d’untel…

D’un pas élancé, Chung se dirige vers l’estrade et empoigne l’égrégore du lieu. Il se redresse le visage éclairé d’un investissement cérébral intense, et émerge d’une méditation profonde. Sans partition, dans un sourire énigmatique, il semble s’émouvoir, se connecter à l’œuvre, à sa mémoire, à son tempo, à un flux sonore perceptible afin d’étendre son emprise sur l’espace. Lorsqu’il lève sa baguette il est proche de l’hypnose. Il semble d’ailleurs qu’il déverse sa puissance, à travers sa sérénité mentale, son savoir. Sa version de la Pathétique vibre tel le couronnement mystique d’une longue carrière. Un immense Monsieur dans sa maturité, qui magnifie le déferlement sonore de sa  phalange. Chung nous propulse dans l’univers de sa pensée, un monde aérien et ordonné fait de clarté.

Sa proposition est intériorisée, emprunte de beauté et de dignité. Dans l’élan de l’écriture, il s’émeut autour d’une gestuelle proche d’une danse ancestrale, stable, sans débordements. Une énergie inépuisable émane de lui. Un premier mouvement fulgurant, un second en dentelle. Le troisième s’étire dans une valse à cinq temps. Tel un écho, il s’enroule autour d’un tempo modéré mais grisant. Ce choix féerique légèrement embrumé, donne l’impression d’être perçue d’une pièce éloignée, ou d’un souvenir lointain. Le dernier mouvement se déplie alors d’archets en archets, dans un flux ascendant poignant qui s’évapore. Il s’égrène comme des spasmes de vie, retombant gravement à l’appel du gong, pour s’engouffrer vers l’inéluctable. Les instrumentistes galvanisés par cette harmonie fulgurante, semblent répandre le flot de leur âme, pour générer cette musique sublime. Ils s’accrochent à cet ermite majestueux, ce chef formidable dont la lanterne flamboyante éclaire l’osmose énergétique de l’ensemble. Nous sommes dans un temple sacré, pour une version mystique de la Pathétique, le public est subjugué, en méditation…

 

Praskova Praskovaa

 

Orchestre Philharmonique de Radio France

Myung-Whun Chung, direction
Seong -Jin Cho, piano
Ji-Yoon Park, violon solo

Philharmonie de Paris
Vendredi 1er février 2019 à 20h30

Programme

Piotr Ilyitch Tchaikovski

Concerto pour piano et orchestre n°1 en si bémol mineur, op 23

 Allegro non troppo e molto maestoso – Allegro con spirito

Andantino simplice – Prestissimo –

Tempo I – Allegro con fuoco

Symphonie n°6 en si mineur, op 74 ” Pathétique”

1. Adagio – Allegro non troppo

2. Allegro con grazia

3. Molto – vivace

4. Adagio lamentoso

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