Zoom sur Andris Poga, invité surprise des « Piano-Folies »
Plus de 60 concerts pour cette nouvelle édition des festivités estivales musicales du Touquet. Un calendrier insolent pour « Les Pianos Folies », avec la promesse de voir défiler plus d’une centaine d’artistes internationaux, dont une salve pianistique de noms slaves illustres : Lugansky, Berezovsky, Tsybakov, Mangova, etc. Afin de magnifier son festival de musique classique dédié à l’art du clavier, Yvan Offroy a souhaité inviter cette année l’Orchestre Symphonique national de Lettonie dirigé par Andris Poga, son incroyable directeur musical. Le maestro et sa phalange se produiront le 17 Août au palais des congrès à 20h30, dans un concert d’exception, aux côtés de la fougueuse pianiste Evelyne Berëzovski. A cette occasion, nous avons pu rencontrer ce jeune chef fascinant, afin qu’il nous parle de son travail, après, notamment, la représentation bouleversante du Requiem de Verdi au Théâtre des Champs-Élysées.
Praskova – Quel éblouissement musical ! Comment faites-vous pour diriger avec tant d’aisance, cette pièce religieuse inclassable de Verdi ?
Andris Poga – Vous savez, le Requiem de Verdi est le plus grand opéra que Verdi n’ait jamais écrit. Et même, si je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette phrase, car le sujet et la structure de ce Requiem sont très différents. La partie mélodique et plusieurs parties orchestrales, sont très semblables à ce que Verdi a écrit dans Aida ou Macbeth. On le ressent dans le rythme, le caractère de l’orchestration, et l’atmosphère qui en est semblable. Verdi ayant été un compositeur d’opéras, je ne suis pas convaincu que l’ampleur du développement orchestral d’origine ait été vraiment conçue pour une église. Mais plutôt, pour une salle de concert. C’est une création originale à part qui transporte le religieux hors de l’église. Même si le sujet exprime à travers chacune de ces phrases une signification mystique, la musique de Verdi, elle, lui donne une autre perspective vibratoire. Dans une vision démocratique, je dirai que son message s’adresse à beaucoup plus de gens que ceux qui vont à l’église. C’est un message universel. Il y a d’ailleurs une similitude frappante avec la fin de La neuvième Symphonie de Beethoven, bien que le sujet et le message soient très différents, mais l’idée et la vision sont semblables.
Praskova – Maestro, vous serez l’invité d’Yvan Offroy avec l’Orchestre Symphonique national de Lettonie pour son festival des Piano Folies en août 2015, pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Andris Poga – C’est une chance de pouvoir engager cette relation en France pour une première collaboration avec Yvan Offroy, dans son festival, les Pianos Folies. Nous aurons l’honneur de nous produire dans un concert de musique russe, où nous présenterons trois œuvres phares de trois compositeurs Russes célèbres : l’Ouverture de Ruslan et Ludmila de Glinka, le Concerto de piano n°3 de Rachmaninov avec la talentueuse Evelyne Berezovsky, et la Symphonie n° 4 de Tchaïkovski. Ce qui est très important pour moi en tant que chef élevé à ce rang lors du concours Svetlanov, c’est que nous jouerons cette Symphonie n°4 de Tchaïkovski, une des plus difficiles, celle avec laquelle j’ai remporté cette compétition. Concernant cette symphonie, je la dirige 3 ou 4 fois par saison, nous l’avons joué dernièrement à Riga, et aussi avec l’Orchestre national symphonique Fedoseyev -Tchaïkovski à Moscou. Notre phalange a l’habitude de jouer traditionnellement de la musique Russe. Nous avons pas mal d’instrumentistes aguerris, qui savent parfaitement comment jouer cette musique, l’aborder, et la comprendre. Ce type même de musique est ancré dans les profondeurs de notre Orchestre. Elle parle à l’âme, et chaque musicien ici sera heureux de la jouer, afin de partager ses émotions avec le public du Touquet.
A propos de l’Orchestre Symphonique national de Lettonie
Praskova – Depuis 2013 vous en êtes le directeur musical à Riga, c’est presque un engagement patriotique, comment faites-vous évoluer cette phalange qui vous ai chère et à travers quelle programmation ?
Andris Poga – Oui tout à fait. Cet orchestre a une riche tradition d’archets. Il possède d’excellents instrumentistes venant d’une école russe de cordes très connue qui développe chez eux un son riche et expressif. C’est un orchestre national, le premier orchestre de notre pays et il se doit d’assumer cette responsabilité. Il joue beaucoup, et aborde tous les spectres de musique symphonique. Cela va de la musique nationale, à tout ce que vous devrez faire habituellement : Beethoven, Brahms, Mahler, des opéras occidentaux, pas mal de contemporain, enfin, toute la musique symphonique russe très confortable pour eux, ayant depuis longtemps leur lot de tradition russe. Durant la saison, nous essayons vraiment d’équilibrer tous ces répertoires. Pour moi-même, j’essaye de prendre des œuvres dans lesquelles je me sens juste. En engageant les meilleurs chefs possibles, notamment dans le répertoire classique, viennois ou la musique russe, je me sens rassuré d’avoir de grands professionnels pour faire travailler nos musiciens. Pourtant, ce n’est pas toujours facile, et cela coûte cher, mais nous le faisons pour faire progresser l’orchestre. En qualité de jeune chef d’orchestre, et de premier directeur de programmation, il est de mon devoir de ne pas toujours être sur scène pour préparer des concerts. Je dois aussi suivre artistiquement ce qui se passe en arrière-plan, veiller au niveau de nos instrumentistes, et à celui de nos chefs invités. Je dois également planifier des programmes musicaux attractifs ou éducatifs pour le public, m’occuper du jeune public. Cela, reste une des lignes prioritaires éducatives à suivre pour chaque orchestre. Enfin, organiser des tournées à l’étranger.
Praskova – Maestro, je suis intriguée, combien de langues parlez-vous ?
Andris Poga – Je parle letton et très bien le russe puisque c’est ma seconde langue. Anglais, un peu de français, et un peu plus d’allemand ayant passé un an à Vienne pour mes études. En tout cas, suffisamment pour pouvoir travailler avec un orchestre. Pour les gens de l’Europe du nord, le français est plus ardu. Pour des latins, le parler et l’inverse paraît assez évident, mais pour nous, c’est plus complexe car les règles sont très contraignantes. En comparaison, l’anglais moderne est une langue plus sèche comme simplifiée. C’est plus un langage direct de communication.
Praskova – Quel genre d’enfant musicien étiez-vous ?
Andris Poga – Vous savez, beaucoup de Lettons abordent la musique à travers le chant, la chorale ou des formations vocales diverses de chœurs professionnels ou non. Moi, jamais ! Enfant, ma première expérience fut avec la musique instrumentale. Au début, je jouais un peu de piano comme tout gamin, mais, j’ai vite changé pour les instruments à vent. D’ailleurs, même si j’étais trompettiste à l’origine, j’ai eu besoin de tester tous les autres vents, et les pratiquer afin de mieux les connaître. Cela m’a permis d’établir ma pensée, car chaque approche instrumentale est bien distincte. La mienne, s’est érigée sur l’étude des vents, bien que similaire à celle de chanter, mais elle a fixé ma vision instrumentale du travail d’orchestre. J’avais dix ans environ lorsque j’ai rejoint le monde de la musique. Je jouais d’un instrument dans l’orchestre de mon école et cela m’a tant passionné que j’ai décidé que ce serait ma voie.
Praskova – En 2010 vous avez remporté le Concours Svetlanov des chefs d’orchestre, cela vous a t’il aidé ? Voir « Le Combat des chefs »
Andris Poga – Oui, c’est exact. Vous savez, lorsque vous êtes chef, vous avez besoin de talent, de travail, mais aussi de succès. C’est très important car il y a beaucoup de gens capables qui n’ont jamais la possibilité de montrer qu’ils ont du talent. Moi-même, j’ai eu cette chance avec le Concours Svetlanov. Je souhaite donc succès et réussite à tous ces jeunes chefs qui s’investissent dans des compétitions.
Praskova – Quel est votre point de vue sur les tâches et les responsabilités auxquelles un chef d’orchestre se doit ?
Andris Poga – C’est une question compliquée à l’heure actuelle, car mon point de vue et mes pensées à ce sujet évoluent sans cesse. Plus vous embrassez cette profession de chef, plus vous en comprenez le fonctionnement. Mon professeur disait : “ Dans cette profession, il y a un sérieux gâchis dû inévitablement à l’environnement, mais cet environnement, pour un chef d’orchestre professionnel, est comme un océan infini ». Plus vous explorez cet océan, plus vous en découvrez ces richesses ou ces leurres. Mais, avant d’atteindre l’horizon, même si vous en avez les capacités, vous n’êtes jamais tout à fait prêt. Pour moi, la beauté de cette profession est d’explorer continuellement. Ce n’est pas comme dans d’autres métiers plus directs, ou, vous attendez la fin d’un processus pour avoir des réponses en toutes choses. Pour nous, la profession de chef d’orchestre est plus comme une philosophie. Il y a beaucoup plus de questions que de réponses ! Lorsque vous travaillez un programme avec un orchestre, ou un soliste, il y a un certain nombre d’éléments qui sont purement professionnels. Vous devez mettre en place certaines choses, suivre certaines directions, et vous devez finaliser la demande. Vous êtes dans l’obligation de vous répondre à vous-même et aux musiciens, tout en étant confronté à des décisions incertaines. Parfois, à la fin de la journée, certaines de ces décisions n’ont pas été les bonnes mais vous devez les garder. C’est assez malaisé, et cela dépend en grande partie de l’orchestre et de la musique que vous dirigez. Par exemple, il y a de nombreux chefs disons spécialisés, qui dirigent du Baroque, et il y a une vraie science à connaître pour le Baroque. Me concernant, je reste prudent avec cela, je ne m’y aventure pas. Même si j’adore Bach, je préfère l’écouter plutôt que de le diriger. L’instinct qui me guide n’est pas suffisant pour ce répertoire, n’ayant pas les connaissances suffisantes. Quand je pense par exemple à la Passion selon saint Matthieu, une œuvre renversante, je pourrai peut-être l’aborder un jour, ce sera un vrai challenge. Émotionnellement, instinctivement oui, mais pour l’instant, je préfère m’abstenir. Et puis, quand c’est le bon moment vous essayez !
Praskova – Après la France avez-vous d’autres projets à l’étranger ?
Andris Poga – Oui, en Allemagne, d’autres concerts se profilent en octobre 2015 avec le magnifique orchestre de Hambourg que je n’ai pas encore dirigé, et l’orchestre admirable de Leipzig en mars 2016. Pour un jeune chef, c’est un véritable rêve bien que j’essaye de rester les pieds sur terre ! Lorsque vous travaillez avec ce type de phalanges, il n’est pas suffisant de connaître l’œuvre, vous devez apporter quelque chose d’autre. Une idée, pas neuve bien sûre, car on ne peut jamais dire qu’on apporte quelque chose de neuf quand on dirige du Dvorak par exemple. On doit y apporter sa vision, c’est essentiel, quelque chose de personnel, c’est exactement ça ! Si vous prenez une partition vous ne dites jamais « Ce n’est pas du Beethoven, c’est du moi ! ». C’est idiot et prétentieux car vous dépendez aussi de l’orchestre. Si l’on prend des orchestres de catégorie A comme ceux de Paris, Munich, Leipzig, Berlin Dresde, Vienne…, vous devez leur apporter quelque chose de consistant, de riche. S’ils ne sont pas d’accord, ou qu’ils ne comprennent pas votre version., alors, ça devient très dangereux, car ils ne sont pas des machines mais des êtres humains avec lesquels il faut argumenter. La difficulté arrive, lorsque vous devez parlementer avec des individus de ce niveau, il ne faut pas se tromper de répertoire ! Ce message s’adresse surtout aux jeunes chefs qui reçoivent beaucoup de propositions, car il est préférable de ne pas tout accepter si l’on ne se sent pas à la hauteur. En prenant tout et n’importe quoi, on se fait vite une mauvaise réputation !
Praskova – Maestro, avez–vous un rêve ?
Andris Poga – Je ne sais pas, c’est si loin. J’ai déjà accompli des choses que je ne pouvais pas imaginer faire, même si ce n’était qu’un rêve. Mais, je ne peux pas rêver, c’est dangereux de rêver ! Je dois me concentrer et être conscient de tout ce qui arrive. Cette saison était très chargée, mais celle de 2015/2016 l’est encore plus. Je dois préparer du répertoire, travailler avec différents orchestres de mentalités différentes, et me rendre dans différents endroits. Tout ça, est au présent, l’avenir aussi, mais il me tarde de connaître le Touquet ! ¶
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Orchestre Symphonique National de Lettonie
Direction musicale : Andris Poga
Pianiste : Evelyne Berezovsky
Programme : Glinka, Rachmaninov, Tchaïkovski
Palais des congrès • Place de l’Hermitage • 62520 Le Touquet-Paris-Plage
Réservations : Office de Tourisme
Tel : 03 21 06 72 00
Bureau du festival à partir du 4 juillet
Tel : 03 21 05 14 29
Lundi 17 août 2015 à 20h30
De 10 € à 40€                                                                          
www.letouquet.com





