Orchestre et chœur du Théâtre Mariinsky. Direction Valéry Gergiev. Piano, Boris Berezovsky. Théâtre des Champs-Élysées, Paris

Valéry Gergiev, chef d'orchestre | © Laurie Lewis /Lebrecht

Ecrit par Praskova Praskovaa

Mar 2012

Stravinsky entre les mains bénies de Gergiev …

 

C’est une soirée de prestige au Théâtre des Champs-Élysées avec un programme Stravinsky précieux et rare nécessitant un plateau d’artistes d’exception. Qui d’autre que l’éminent chef russe Valéry Gergiev pour conduire et relever ce défi, accompagné des forces vives du Mariinsky* et de son compatriote pianiste Boris Berezovsky ?

En effet, on se demande toujours comment on arrive à réunir une telle distribution pour un concert qui ne va durer qu’une heure quinze ? Qui fait des efforts : agent, compagnie ou artiste sur son cachet ? Toujours est-il que les œuvres de Stravinsky jouées ce soir sont rarement données ensemble, voire jamais : Petrouchka, Capriccio et la Symphonie des Psaumes. Il ne faut pas oublier non plus que l’infatigable Gergiev, pour ce seul mois de mars, a prévu cinq apparitions en France, avec des programmes ahurissants tels que : Oedipus Rex et les Noces de Stravinsky toujours au T.C.E., la Symphonie n°12 de Chostakovitch et la n°5 de Mahler à Lyon et Toulouse, et un concert à Pleyel avec le Concert-gebouw d’Amsterdam (Dutilleux, Prokofiev, Sibelius). Cette quête vers la profusion et l’excellence ne va-t-elle pas épuisé la boulimie de cet artiste hors norme ?

C’est le ballet de Petrouchka qui ouvre le bal. Le chef foule la scène comme en état d’hypnose, saluant brièvement le public. Il s’ancre dans le sol comme pour s’imprégner de ses ondes telluriques. Dès les premiers accords, la battue est extrêmement vive et dynamique. Très présent, il accueille dans ses bras le souffle crépitant de sa phalange. Du bout des doigts, il tapote dans le vide un millier de notes invisibles. Il impulse et soude les rythmes intérieurs et syncopés propres au flot musical dentelé du compositeur. Malgré ce déroulement mélodique saccadé, la ligne d’archet du Mariinky est d’une admirable tenue. Ces gens-là n’ont point besoin de se mettre en route, ils sont déjà chauds. Cette remarque est valable pour les vents, les traits épars du piano ou de la harpe, qui offrent une variété de lignes mélodiques geysers.

Cette orchestration multiple et entrecoupée de silences s’enchaîne pourtant dans une vision ample d’une grande liberté. Il est à noter, à cet effet, la prestation remarquable du clairon tout au long de la composition. Gergiev enflamme l’atmosphère et décuple l’ardeur de ces instrumentistes, magnifiant ainsi la musique de Stravinsky. Il fait osciller son interprétation entre un raffinement propre au ballet et une musique plus populaire, plus percutante, où il puise avec élégance et ironie les thèmes empruntés au folklore. Chacun des instrumentistes semble se fondre dans ce creuset et produire sa ligne mélodique, tel un groupe qui ne serait constitué que de solistes. Cet ensemble témoigne d’une vitalité intemporelle, musclée mais émotionnelle, dans cette version. Le maestro est si concentré qu’il esquisse un début d’étourdissement lors des saluts.

Boris Berezovski jubile

Pour Capriccio, le piano est orienté face au public à l’intérieur de l’orchestre. Celui-ci est regroupé autour de lui, illustrant la volonté de considérer le clavier comme un des composants instrumentaux du groupe. Sans pupitre, cela permet de voir le visage de Boris Berezovski qui s’émeut et sourit aux difficultés inhérentes à la partition. Le soliste s’amuse, mieux : il jubile. Mais, y a-t-il une difficulté quelconque ici pour ce pianiste ? En tout cas, l’écriture martelée de la pièce traite l’instrument presque à la manière d’un xylophone. Elle comporte peu de grandes phrases légato, mais donne la sensation d’une course-poursuite légère et percussive, dans une ivresse rythmique de bulles qui claquent au milieu d’un malstrom d’or en fusion. Une seule énergie explose dans cette alliance de talents : chef, soliste, orchestre ne font qu’un. La reprise en bis sera encore plus spectaculaire dans sa fougue créatrice.

Après l’entracte, pour la Symphonie des Psaumes. Sept violoncelles et contrebasses sont placés en front de scène sans aucuns autres archets, ni clarinettes. Sont collés juste derrière, vents et percussions et le chœur du Mariinsky avec cette volonté immuable de fondre l’ensemble pour obtenir une unité sonore et musicale. L’ensemble crée une antinomie, entre l’appareil Symphonique d’ordre profane et le chuchotement incantatoire du Psaume d’ordre sacré. Le déploiement s’articule à partir d’une palette de couleurs pianissimo en forme de prière continue. Un début complexe à gérer pour le pupitre de sopranes, qui sonne un peu bas. Cependant, la cohérence émotionnelle de ce chœur mixte est pourtant vite rétablie lorsque la masse vocale se décuple, puis s’apaise, psalmodiant le texte avec ferveur. Le travail remarquable accompli par ces choristes coupe le souffle. C’est au-delà de ce murmure céleste que Gergiev puise sa force magnétique, afin d’accomplir sa longue marche mystique vers le ciel.

Praskova Praskovaa

Les Trois Coups

 

* Le Théâtre Mariinsky est une compagnie d’opéra, de ballet et de concerts résidant à Saint-Pétersbourg (Russie), ainsi qu’une salle de spectacle.

 

Orchestre et Chœur du Théâtre Mariinsky

Direction musicale: Valéry Gergiev

Piano: Boris Berezovsky

Igor Stavinsky (1882-1971)

Petrouchka, scènes burlesques en quatre tableaux (35 minutes)

Tableau 1 : La foire du mardi gras (Introduction, La cabine du charlatan, Danse russe.)

Tableau 2 : Chez Petrouchka

Tableau 3 : Chez le Maure

Chez le Maure

Danse de la ballerine

Valse de la ballerine et du Maure

Tableau 4 : La foire du mardi gras (La nuit – Danse des Nourrices – Le Paysan

et son ours dansant – Le joyeux négociant et deux bohémiennes – Danse des personnalités et de leurs suivants – Les Artistes de théâtre – Le combat entre

le Maure et Petrouchka – Mort de Petrouchka – Vision du fantôme de Petrouchka)

Entracte

Capriccio pour piano et orchestre (environ 20 minutes)

  1. Presto
  2. Andante rapsodico
  3. Allegro cappriccioso ma tempo giusto

Symphonie des psaumes, pour chœur et orchestre (environ 20 minutes)

  1. Premier mouvement (Psaume 39, versets 13 et 14)
  2. Deuxième mouvement (Psaume 40, versets2, 3 et 4)
  3. Troisième mouvement (Psaume 150)

Théâtre des Champs-Elysées• 15 Avenue Montaigne. 75008 Paris

Réservations : 01 49 52 50 50

http://www.theatrechampselysees.fr

8 mars 2012 à 20 heures

Durée : 1 h20

5 € – 85 €

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