« Rusalka », d’Antonin Dvorak. Direction Lawrence Forster. Opéra Berlioz, Montpellier.

Ecrit par Praskova Praskovaa

Oct 2011

Dina Kuznetsova, Rusalka charnelle et magnétique

 

Dans la continuité des programmations de René Koering pour 2011, l’Opéra de Montpellier affiche une œuvre charmante et assez peu jouée d’Antonin Dvořák, « Rusalka ». Composé sur un livret de Jaroslav Kvapil, ce conte slave dramatique aux accents de Bohème, projette également la sensualité miroitante d’un Maeterlinck, et l’emprise certaine du wagnérisme. On est donc peu surpris de trouver un plateau vocal tout en rondeur et en puissance, reflétant parfaitement cette vision de l’œuvre.

Pour ce début de saison et bien que quelques sifflets déplaisants fusent dans la salle, le directeur musical, Lawrence Foster, reste serein et imperturbable. Habituellement fantasque, il impose cette fois une direction méthodique et souple instaurant dans la fosse un climat fluide et imaginatif propre à l’œuvre. Ce premier acte, sur une mise en scène sobre mais virevoltante et attrayante de Jim Lucassen, s’ouvre sur un musée d’histoire naturelle. Dans un décor d’esthétique germanophile, un long escalier en colimaçon sert de passerelle entre le monde du réel et celui de l’imaginaire. Une verrière de plafond amovible permet également de varier les mouvements de lumière pour favoriser cette atmosphère d’alternance féerique. Sur le mur du fond d’un vert amande gouleyant, trône Rusalka, blanche et immobile à l’intérieur d’un tableau naturaliste pittoresque.

La musique d’Anton Dvořák est dense, symbolique et lumineuse, teintée de mélodies folkloriques. Une véritable aubaine pour l’orchestre, qui, galvanisé également par les timbres chaleureux de la distribution, peut démontrer son savoir-faire sans être bridé, dans une couleur ample et lyrique qui rehausse immédiatement sa qualité sonore. Sans ostentation particulière, Foster soigne ses chanteurs, il les suit avec tact, sans jamais les engloutir dans le flot de ses propres emportements rythmiques, contrôlés ce soir-là au profit d’une musique limpide.

Dès le premier tableau, trois nymphes espiègles jouent avec l’ondin Vodnik une scène allégorique dynamique, où un ensemble de belles voix s’entremêle. En effet, la basse russe Mischa Schelomianski possède un charisme certain dans son rôle de patriarche des ondes souterraines, et gronde de son timbre profond, un peu sourd au demeurant dans ce premier acte. La qualité vocale de son émission affable et envoûtante se bonifiera considérablement lors de son air du second acte. Les Ondines, Gabrielle Philiponnet, Yété Queiroz et Irina Aleksidze, coquines et délicieuses à souhait, proposent un trio de timbres chatoyants et harmonieux avec une belle leçon de musicalité.

La Sorcière de Renée Morloc est époustouflante

Dina Kuznetsova incarne une Rusalka charnelle et magnétique, ondine de la Lune. La perfection de sa technique lui permet de moduler à souhait son interprétation. Sa beauté, sa voix satinée, d’un lyrisme harmonique vibrant, la situe, à l’heure actuelle, probablement comme l’une des meilleures pour ce rôle. (Bien entendu, et pour les initiés, dans une variété de timbre différente de celle de Renée Fleming.) La Sorcière de Renée Morloc est époustouflante de vitalité, d’invention et de puissance. Attendrissante et drôle dans son jeu et ses déplacements scéniques, cette artiste accomplie exploite avec solidité l’ensemble de ses capacités techniques, arrachant même pour une voix aussi colorée dans le médium des suraigus timbrés et lumineux d’une grande beauté. Ce duo du premier acte reste un des moments forts et accomplis de l’œuvre en matière de musicalité, du dosage des effets vocaux et de la complicité scénique de ces deux artistes.

On ne peut malheureusement pas en dire autant pour la prestation d’Hedwig Fassbender, la Princesse tant attendue pourtant, qui, privée de ses aigus ce soir-là, reste la grande absente de ce plateau de choix. Concernant le Prince Ludovit Ludha, et malgré une prestation émotionnelle fort honorable, il demeure étranger et surévalué dans cette distribution de voix larges et impérieuses. Sa projection vocale moins efficace crée un déséquilibre, voir une inégalité dans l’articulation textuelle de ces duos avec Rusalka et la Princesse. Conséquence immédiate : l’intrigue s’enlise mettant paradoxalement en valeur, bien que d’un grivois discutable, les duos plus enlevés d’Igor Gnidii et Caroline Fèvre. La prestation active et rationnelle des chœurs de Montpellier autour d’un squelette monumental de tyrannosaure ranime également le second acte.

C’est en quelque sorte une politique d’alternance à l’Opéra Berlioz, éclairé néanmoins par la ferveur bienveillante de son nouveau directeur, Jean-Paul Scarpitta, jetant des roses à ces artistes. 

Praskova Praskovaa

Les Trois Coups

 

Rusalka, d’Antonin Dvořák

Conte lyrique en trois actes sur un livret de Jaroslav Kvapil

Direction musicale : Lawrence Foster

Mise en scène et décors : Jim Lucassen

Créé à Prague le 31 Mars 1901
Avec :

– Rusalka : Dina Kuznetsova

– le Prince : Ludovit Ludha

– la Princesse étrangère : Hedwig Fassbender

– Vodnik : Mischa Schelomianski

– Jezibaba : Renée Morloc

– Première nymphe : Gabrielle Philiponnet

– Deuxième nymphe : Yété Queiroz

– Troisième nymphe : Irina Aleksidze

– le Garde-chasse /le Chasseur : Igor Gnidii

– le Garçon de cuisine : Caroline Fèvre

– Figurants : Marilyne Soustelle, Marion Fiévet, Nicholas Darriet, Kenny Modolo, Jacques Fuster

Costumes : Amélie Sator

Lumières : Andreas Grüter

Chef de chant : Lada Jiraskova

Chef des chœurs : Noëlle Gény

Assistant à la direction musicale : Robert Tuohy

Assistant à la mise en scène : Benjamin Prins

Dramaturge : Ton Boorsma

Assistant aux décors : Sarah Bernardy

Régisseur de production : Mireille Jouve

Régisseurs de scène : Torao Sizuki, Xavier Bouchon

Régisseur des chœurs : Nadine Leclaire

Orchestre national de Montpellier-Languedoc-Roussillon

Chœurs de l’Opéra national Montpellier-Languedoc-Roussillon

Éditions musicales Bârenreiter

La programmation de l’année 2011 est réalisée par René Koering

Opéra Berlioz-Le Corum • allée des Républicains-Espagnols • 34000 Montpellier

Réservations : 04 67 60 19 99

http://www.opera-montpellier.com/

7, et 11 octobre 2011 à 20 heures, 9 octobre 2011 à 15 heures

Durée : 3 h 15

15 € à 45 €

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