Dans la loge de… Florian Zeller, auteur de « la Vérité », Théâtre Montparnasse, Paris.

Florian Zeller, écrivain, dramaturge | © Florian Zeller

Ecrit par Praskova Praskovaa

Avr 2011

« Je ne devrais pas donner d’interview »

 

Florian Zeller n’est pas en promotion, il a le vent en poupe. Écrivain et dramaturge prodigues, il est dans l’air du temps ! Ce personnage romanesque fréquente les théâtres privés, les plateaux télé, la gente parisienne et draine un public d’inconditionnels. Il vient d’enchaîner deux pièces avec succès : « la Mère » (qui ne m’a malheureusement pas convaincue), et « La Vérité ».

Avec son allure aérienne en baskets chics, le cheveu d’or broussailleux, enveloppé dans un polo pied-de-poule gris-noir, la mine ombrageuse, c’est au Théâtre Montparnasse que nous nous rencontrons pour un bout de conversation tonique…

Praskova – Déjà professeur à Sciences-Po à l’âge de 22 ans, comment a débuté cette passion pour l’écriture.

Florian Zeller – Je n’ai pas de souvenirs littéraires forts. Alors que j’étais enfant, j’étais dans une famille où il n’y avait pas de livres. C’est plutôt à l’adolescence que j’ai eu mon premier geste d’écriture : ma première pièce, Il faudra bien lui dire non, mais c’était très mauvais.

Praskova – Après un passage remarqué en littérature (la Fascination du pire, prix Interallié 2004, et Julien Parme en 2006), vous vous consacrez soudain à la dramaturgie. Pourquoi ?

Florian Zeller – Ce n’est pas une désertion à proprement dit de l’écriture romanesque. Je prépare à cet effet un livre qui sortira probablement en septembre, la jouissance. Mes livres anciens appartiennent déjà à une préhistoire qui n’a plus de rapport avec rêveries, ou mes préoccupations d’aujourd’hui.

Ce que j’aime dans le théâtre, c’est être derrière. Cela me convient davantage, car il est possible de ne pas apparaître. L’écran des acteurs, celui de la disparition, permet de ne pas avoir à faire acte d’existence. Au contraire, la publication et la promotion littéraire me sont désagréables, elles abîment le désir d’écrire, l’écriture et la sérénité. Quand on sort un livre, on appartient aux autres pendant un certain temps. C’est une agitation astreignante. De toute manière, je n’ai pas réussi à échapper à cela par manque de légèreté. D’ailleurs je ne suis pas en promotion, je ne devrais pas donner d’interview !

Praskova – Après une pièce grave, la Mère, vous composez un vaudeville effervescent, la Vérité. A propos de légèreté, quel est votre sentiment sur ce type de pièce, et la légèreté des êtres en général ?

Florian Zeller – A propos de la Vérité, vaudeville est un mot que j’aime bien, il entraîne une grande exigence dans l’écriture. Il faut séduire les gens sans être pris au sérieux et, en même temps, il faut toucher le public à l’endroit le plus fort. Concernant la légèreté de l’être, je pense que c’est une question de tempérament ou de chimie, en quelque sorte de structure psychique et pas tellement de volonté, ni de combat. Il y a des gens qui sont disposés pour la joie et la légèreté. J’ai un ami qui est comme ça, et je vois bien à quel moment il est moins présent. Finalement, je constate à quel point c’est une capacité supérieure de pouvoir déserter tout ça, ou une lacune parfois.

Praskova – Bien que cela soit omniprésent dans votre univers, vous portez un regard décalé, amer et mélancolique, sur la sexualité amoureuse. Qu’en est-il vraiment de votre cœur et de ce rapport intime à la chair ?

Florian Zeller – C’est une réalité intermittente, donc contradictoire. C’est vrai, on m’a reproché cette froideur que je dégage dans mes romans, mais qui reflète la contradiction du désir. Je crois à la liberté, mais aussi à la contrariété. Mon rapport à la chair est libre mais contradictoire. Dans la prédominance d’un fonctionnement mental, cette froideur est le produit de la liberté et de la contrariété. Cela n’a rien à voir, bien sûr, et c’est juste un parallèle. Mais le vrai truc, c’est que j’ai une aversion pour les interviews, cela me rend de mauvaise humeur car je suis paranoïaque. Je n’ai pas envie d’apparaître, que l’on parle de moi, car cela me déplait qu’on écrive sur moi. Je vous ai dit oui, mais…  « Voulez-vous une tasse de thé ? ». Vous voyez je suis dans le retrait.

Praskova – Vos textes sont clairs, rien d’emphatique : des phrases courtes métaphoriques qui foisonnent d’éléments indicibles. Quel regard portez-vous sur votre plume ?

Florian Zeller. — En fait, ce qui me plaît c’est de travailler un matériau commun comme la phrase dénudée, sans prétention à être ou à être applaudi. En cherchant dans les coulisses de l’anodin, en des moments où se cherche et se joue l’être. C’est d’ailleurs très délicat de parler de son écriture ou de soi à quelqu’un qui pose une question sans nuances. Vous voyez, il y a des moments où je travaille, où je suis là, et des moments où je suis ailleurs. J’ai décidé de me laisser cette possibilité-là, même si cela passe parfois pour de l’impolitesse. Finalement, j’aime assez les bouteilles à la mer, on est là ou pas …

Praskova – Avez-vous des projets de cinéma, de mise en scène ?

Florian Zeller – Bien que je sois très cinéphile, non ! Je n’aimerais pas écrire ou coécrire un scénario, pour que quelqu’un d’autre le réalise à ma place. C’est un peu semblable avec la mise en scène, mais cela dépend des histoires, des êtres et des relations bien sûr. Pour la Mère, je suis parti avec Martial Di Fonzo Bo, car ce jeune argentin est un des plus grands metteurs en scène de notre génération. Vous savez la pièce que vous… Martial est très Lié à Catherine Hiegel, ils avaient travaillé ensemble à la comédie française. J’avais envie de le regarder faire ce garçon, en m’octroyant ce luxe pour m’enrichir de ses origines, de son histoire et me nourrir de lui comme on dévore la vie des autres.

Pour la Vérité, c’est Arditti qui a pensé à Patrice Kerbrat, ayant eu avec lui un contact productif sur Art de Jasmina Reza. Voulant retenter l’aventure, et comme j’étais content que ce soit Arditti, je l’ai laissé choisir. En mise en scène, je peux être présent, insupportable, ou très distant comme là avec Arditti dans la vérité où je me suis éloigné dans une sorte de légèreté supplémentaire. Il est vrai que le processus par lequel un spectacle apparaît, est une épopée passionnante, intense. Par contre, il est difficile de le vivre quand on n’a pas les moyens d’intervenir, ou quand on assiste aux choses qui se perdent, ou se dégradent. C’est particulièrement éprouvant. En même temps, c’est un processus formidable pour le metteur en scène et l’acteur, de participer à la mise en œuvre d’un spectacle par l’envers du décor, et par la préhistoire du montage. Ce sont des moments de vie très puissants, les répétitions étant un condensé supérieur de la vie.

Praskova – Pourquoi vous produisez vous uniquement dans des théâtres privés ?

Florian Zeller – Pour monter des pièces, c’est assez difficile de transgresser la frontière entre les théâtres publics et privés, qui sont des territoires séparés. Ce n’est pas comme dans la musique, plus internationale, car en théâtre les gens circulent moins. Il y a un côté périlleux à s’aventurer chez l’autre pour des raisons stupides, telles que les intérêts des uns et des autres, le goût du public, le snobisme parfois. Le prix des places est plus élevé dans le privé, mais les acteurs sont mieux payés. Ils frayent aussi avec la notoriété, et les spectateurs des théâtres publics n’aiment pas cela. Catherine Hiegel, par exemple, n’avait jamais travaillé dans le privé avant de jouer la Mère. Je sais que vous l’adorez…

P. P – « Ho, vous êtes sûre que vous n’êtes pas rancunier »

F. Z – « Si, très !»

Praskova – Pourriez-vous faire de moi une figure littéraire en quelques phrases ?

Florian Zeller – Vous prenez le risque d’être violentée !

Eh bien, je vous observe… Ce que je trouve absolument étonnant chez vous, c’est la conjonction d’un volcanisme excessif conjointement a une certaine sagesse qui vous donne la possibilité d’être sereine et sans animosité. C’est très incontrôlable. Bizarrement, vous êtes au bon endroit pour laisser passer les choses et les êtres sans vous formaliser. Vous arrivez même à vous mettre au rythme des autres tout en restant « borderline ». Il y a de la tempérance chez vous et en même temps une connexion avec le déraisonnable qui semble vous échapper. Bien que vous rassuriez, vous pouvez aussi faire peur, vous êtes dans la contradiction. Comme tout à l’heure, par exemple, où vous m’avez été très désagréable à propos de votre sentiment sur la mère. Vous allez très loin ! Les gens comme vous impriment une forme de surdité. Vous m’avez dit que je suis trop jeune pour écrire sur les femmes.

P.P – « Non ! Je n’ai pas dit sur les femmes ; J’ai dit sur les mères ! »

Florian Zeller – Bon, je ne suis pas susceptible, mais vous auriez pu dire… Je n’ai pas aimé le spectacle et ce n’est pas grave ! Ce qui m’énerve, c’est qu’il n’y a pas de frontières entre vous et le reste du monde. En fait vous avez l’impression de voir, mais vous ne voyez pas vos angles morts. D’ailleurs c’est vous qui n’avez pas su voir le spectacle, ce n’est pas le spectacle qui n’a pas existé !

Praskova – Bon, bon, un livre à lire absolument ?

Florian Zeller – Il y a plein de livres, mais il y a un livre sur lequel je reviens souvent : C’est l’Odyssée, d’Homère. J’adore la poésie méditerranéenne et le tragique solaire, je trouve que ça nourrit beaucoup. J’adore l’histoire de ce héros nostalgique. C’est le plus grand de tous, car il veut juste rentrer chez lui. J’aime particulièrement le chant V où Ulysse est pris en otage par Calypso, déesse de la sensualité, de l’amour. En échange de la vie éternelle, elle lui propose de rester auprès d’elle. Pourtant, il ne se passe pas un jour sans qu’il ne regarde la mer, l’horizon et qu’il ne pense à sa femme Pénélope et à repartir au pays d’Ithaque. Il préfère le retour à l’aventure, le connu à l’inconnu. C’est la tragédie de l’homme nostalgique.

Praskova – Auriez-vous une phrase qui vous porte ?

Florian Zeller. Oui, j’en ai une de ce matin elle ne me porte pas très loin, mais elle porte quelque chose de fort : « Le courage n’est pas l’inverse de la peur, mais son prolongement victorieux », c’est tellement vrai : on n’est pas courageux parce que l’on n’a pas peur, mais en l’éprouvant on la domine et on la vainc. Alors, pour cette interview puis-je vous faire confiance ?

Vous voyez, je suis dans la rétention et ce n’est pas la liberté, je pense que vous n’avez pas fabriqué la distorsion de la parole entre nous et ma vérité n’est pas là, c’est de votre faute vous avez rompu la confiance ! (Sourires mutuels).

 

Praskova Praskovaa

Les Trois Coups

 

La Vérité, de Florian Zeller

Mise en scène : Patrice Kerbrat

Avec Pierre Aditti, Fanny Cottençon, Patrice Kerbrat, Christiane Millet.

Décor : Édouard Laug

Lumières : Laurent Béal

Son : Michel Winogradoff

Théâtre Montparnasse – 31, rue de la Gaîté – 75014 Paris

Du mardi au samedi à 21 heures, matinées samedi à 18 heures et dimanche à     15 h 30

Location 28 jours à l’avance au 01 43 22 77 74

Prix des places 52 € – 48 € – 35 € – 18 €

http://www.theatremontparnasse.com

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