Dans la loge de… Estéban Perroy. Fondateur de l’École Française d’improvisation théâtrale (E.F.I.T.), Paris.

Estéban Perroy, gestionnaire, écrivain, artiste | © Estéban Perroy

Ecrit par Praskova Praskovaa

Oct 2010

« Notre devoir d’incandescence »

 

Après un début d’année hilarant avec le spectacle d’improvisation « Colors » au Théâtre du Gymnase, j’ai pu rencontrer son leader charismatique Estéban Perroy. En 1998, celui-ci fonde l’École Française d’improvisation théâtrale (E.F.I.T.), dont il est le gestionnaire actuel, codirigée avec Franck Porquiet. L’école installée à Paris compte plus de 300 membres. Elle est l’une des principales écoles francophones d’improvisation. Comédien puissant, charmeur inclassable ce personnage tumultueux y cumule les fonctions de formateur, scénographe et producteur. Il fait irruption au bar du Gymnase dans une tornade de bonne humeur.

Praskova – Christophe Tournier, spécialiste de l’improvisation théâtrale a écrit : « La vie est une lente impro… », Pouvez-vous éclaircir ce paradoxe selon lequel l’improvisation n’a rien d’une évidence et qu’elle nécessite d’acquérir des techniques ? N’est-ce pas contraire au principe de spontanéité qui doit présider en improvisation ?

Esteban Perroy – Avant de se lâcher dans une expression artistique, il faut maitriser certaines techniques que nous enseignons à nos élèves. En improvisation, il y a cinq données fondamentales : L’écoute active de l’autre, la crédibilisation, la construction, l’incarnation authentique des personnages et la vérité des émotions. A partir de là, on va donner à nos élèves le savoir-faire en termes d’architecture et les méthodes pour pouvoir user de ces matériaux. Ceci afin de construire leur propre maison à partir de leurs matériaux à eux : leur sensibilité, leur éducation, leur rapport à l’autre, leurs envies, leurs peurs, leurs rêves, leur culture, leurs désirs, leur corps, leur sexualité etc. Toutes ces choses-là vont être le résultat de leur improvisation, à travers leur propre sensibilité, émotivité et spontanéité.

| © Esteban Perroy

Praskova – Quel est le fonctionnement de cette école et les disciplines qui y sont enseignées ?

Estéban Perroy – On enseigne l’improvisation théâtrale de manière générale à tous les niveaux. D’une part elle regroupe des amateurs de toutes situations professionnelles qui viennent pour le plaisir et y trouvent une satisfaction intellectuelle, physique, ludique et spirituelle. D’autre part, nous avons trois ateliers réservés aux professionnels du théâtre, de la comédie ou de professions annexes. Nous ne sommes pas du tout une école pour match d’improvisation, type de spectacle qui a développé en France l’improvisation dans les années 1980. Nous n’enseignons pas la commedia dell’arte, ni le one man show, ni le burlesque, ni le sketches ou le cabaret. On est vraiment dans l’improvisation dans ce qu’elle a de plus large et d’absolu. Ce n’est pas le fait d’avoir une grande gueule, d’être plus fort que l’autre en termes de répondant, d’avoir la répartie facile, d’être exubérant ou d’être plus puissant que l’autre. C’est au contraire l’enseignement d’un art où l’on va construire des histoires en temps réel et envoyer des émotions vers un public. Cela nécessite une concentration particulière, car il ne faut pas oublier que l’autre à en lui le prolongement de vos propres limites en termes d’imaginaire, de construction de personnages, d’histoires racontées, d’énergie physique, mentale, etc. Vient ensuite la construction, dont le pilier central est la crédibilisation, avec la volonté d’enrichir le propos de l’autre en incluant la vérité de son propos initial. Cela veut dire que l’autre a toujours raison même si je ne suis pas d’accord. Et, moi je vais encore plus loin que lui en avançant dans le même sens. Bien entendu, il reste tout le travail commun au théâtre classique : la justesse dans l’incarnation des personnages, l’authenticité dans les émotions et la création de personnages sincères et concrets qui peuvent être totalement loufoques, mais qui dans leur panache seront crédibles.

Praskova – Quel type de public est touché par ces spectacles d’improvisation ?

Estéban Perroy – Depuis quelques années l’improvisation se développe. La cible du public était plutôt sur des 15 – 40 ans urbains venant des sphères estudiantines, des professions libérales ou intellectuelles supérieurs. Heureusement, on assiste peu à peu à une vulgarisation de cet art au sens noble du terme. Il intéresse de plus en plus le grand public, c’est pour cela qu’on essaie dans nos spectacles d’être le moins élitiste possible. En ouvrant notre champ d’impact, on mélange l’improvisation à la musique, parfois à la danse et à la performance scénique, en expérimentant l’ensemble dans une exigence de qualité. Il ne faut surtout pas confondre un spectacle d’improvisation avec un simple sketch, ce qui fait beaucoup de tort à l’improvisation quand elle est pratiquée de manière trop « amateur », en spectacle professionnel j’entends… Évidemment, c’est merveilleux toutes ces ligues d’amateurs, et ces groupes de jeunes improvisateurs qui proposent des spectacles toutes catégories. La discipline en est renforcée, et cela étend l’esprit de l’improvisation et sa notoriété. Mais, quand on a des prétentions professionnelles en termes de rendu et de spectacle, il est nécessaire de présenter un concept, une soirée avec une exigence minimale en matière de qualité d’expérience des comédiens. Cela, dans un vrai cadre qui va faire qu’on assiste à un vrai spectacle théâtral, d’envergure.

Colors, le spectacle d’improvisation | © Esteban Perroy 

Praskova –  Quel part de marché occupe cet art en plein développement ?

Estéban Perroy – Justement, on a vu se multiplier depuis quelques années des groupuscules d’improvisation, et on a assisté à un morcellement incroyable de la proposition artistique en termes de représentations d’improvisation à Paris ; au contraire, moins en en Province, car les ligues se sont soudées pour pouvoir exister, ayant un public moins nombreux. Par ailleurs, il y a eu prolifération de ces spectacles gratuits sur les sites Internet. Situés dans des péniches, dans des bars avec des surprises formidables, mais parfois avec des spectacles douloureux qui desservent l’image de l’improvisation et ne l’aide en aucun cas à acquérir des lettres de noblesse.

Praskova – Comment votre spécialité est-elle perçue par les cercles élitistes du théâtre classique ?

Estéban Perroy – C’est effectivement ce que je viens d’exprimer. On a parfois de la part de ces cercles élitistes une considération mitigée de notre particularité, voire même de sous-art qui est lié, je ne le conteste pas, à un certain laisser-aller, ou un amateurisme trop souvent constaté. On ne peut donc les en blâmer. La seule chose qu’on peut faire pour défendre notre art, c’est d’amener l’improvisation dans des théâtres prestigieux, tel le Casino de Paris, ou le Gymnase, et de proposer des spectacles dont le prix est le même que ceux qu’on va voir à la Madeleine ou aux Variétés. Ce n’est pas parce que l’improvisation est un art spontané, qu’il ne doit pas être cadré. A l’intérieur d’une structure maitrisée, quoi de plus extatique que de surprendre, dans des cessions en direct, d’une manière inattendue, mais cela en étant à l’intérieur d’une proposition artistique précise.

Praskova – Quels sont vos projets pour cette l’école ?

Estéban Perroy – Aujourd’hui, on travaille de plus en plus avec le monde de l’entreprise. On pense qu’il y a une nécessité croissante à mettre en place des formations où l’on remet l’individu au cœur du système et non l’inverse. Par ailleurs, on continue de développer nos spectacles. Cette année, on joue tous les dimanches au théâtre du gymnase avec Colors, qui par chance a des retours professionnels positifs et commence à fonctionner grâce à notre détermination. Chaque semaine, nous invitons un comédien confirmé et reconnu, tel Laurent Gamelon, Alain Bouzigues, Bérénice Béjot etc. Cela nous permet de poursuivre notre travail de crédibilisation dans notre proposition artistique. D’autres spectacles, comportant des défis d’improvisation, sont prévus dans de grandes salles avec des musiciens et quelques projets télé en prime.

Praskova – Une citation qui vous porte ?

Estéban Perroy – Avant hier j’ai rencontré un comédien, Franck de Lapersonne, on a beaucoup échangé sur notre métier, et il m’a dit une phrase qui résonnait en moi depuis des années, je le cite : « je crois que notre devoir est celui d’incandescence. » J’assume aujourd’hui que nous avons un devoir d’incandescence ! 

 

Praskova Praskovaa

Les Trois Coups

 

École d’improvisation théâtrale française É.F.I.T.

Contact : 0685353582

http://www.improvisation.org

COLORS 

Un spectacle conçu et produit par Esteban Perroy et Franck Porquiet

Avec une sélection de comédiens issus de l’École française d’improvisation théâtrale et chaque semaine un invité de renom

Théâtre du Gymnase • 38, boulevard Bonne-Nouvelle • 75010 Paris

01 42 46 79 79

http://www.theatredugymnase.com/contact.html

Métro : Bonne-Nouvelle

Tous les dimanches à 20 h 45

22 € | 18 €

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