Traviata, l’œuvre au noir
Tandis que la polémique dodécaphonique Koering, – Scarpitta bat son plein sur l’agora musicale Montpelliéraine, c’est une version sombre et prémonitoire du drame Verdien, que nous offre, justement, Jean-Paul Scarpitta, metteur en scène nomade. Il nous livre sa version « brechtienne » de la « Traviata ». Emprunte d’une aristocratie viscontienne clair-obscur, cette dame aux camélias-là, se visionne en noir et blanc, dans les tréfonds de notre conscience…
Pour cette dernière production de la saison, la salle de l’Opéra-Comédie est comble. On constate une fois de plus que le grand répertoire toujours recette. Dès les premières mesures, et comme une fin annoncée, on assiste à l’évolution sinueuse de la mort qui hante déjà le plateau. Peu de lumières dans cette tombe en forme de palais vide, si ce n’est ces dix lustres de verroterie luxueuse, rompant la monotonie de l’espace par des hauteurs diverses. Pas de flonflons, ni de toilettes lumineuses et extravagantes. Dans ce lieu, les convives vêtus de noir sont collés au mur du fond comme un chœur à l’antique commentant l’action. Les coiffes étranges des femmes font d’elles des fantoches aux ombres envahissantes, où se dandine un travesti, clin d’œil à la débauche de la nuit. Les invités menaçants, unanimes dans leurs gestuelles et leur élocution, portent une masse vocale dynamique ample, dans un équilibre harmonieux reliant les voix masculines et féminines entre-elles ; ce qui n’est pas forcément le cas pour le reste de la distribution.
Monica Tarone dans le rôle de Violetta Valéry est convaincante. Sa prestation technique et musicale se bonifie au fil des pages, grâce à l’aide précieuse d’Alain Altinoglu, chef lyrique par excellence. A l’approche de la mort, elle se révèle même poignante tragédienne, et ce, bien que son organe paraisse à l’heure actuelle, un peu juste pour ce rôle écrasant. N’était-ce pas un peu tôt pour cette Marie, Fille de régiment, six mois plus tôt ? Alfredo, chanté par Marius Brenciu bien que doté d’un timbre élégant, reste froid, sans expressivité avec des aigus arrachés. Ce duo-là ne fait pas la paire. Le Giorgio Germont de Stefano Antonucci est d’une belle qualité sonore, puissant, rauque il enveloppe son personnage d’une attitude glaciale. Cherchant des couleurs enjôleuses pendant le duo avec Violetta, il partage avec nous des moments intenses de complicité artistique. Le reste de la distribution est homogène. On citera la Flora percutante de Marianne Crebassa, une voix à suivre…
A la baguette, Alain Altinoglu dynamise son monde, et accorde toute son attention aux chanteurs. Dans une battue enlevée, vibrante, il fait irradier l’œuvre, ronfler la musique et lui redonne ce caractère brillant, italianisant qu’elle perd un peu avec cette mise en scène fantomatique et dépouillée. Le contraste des deux étant une vraie réussite sur le plan dramatique. Sans emphase, le chef s’adapte à la distribution plus ou moins légère dont il dispose. Totalement inspiré lors du prélude du IIIe acte, il galvanise notre émotion en nous offrant une prière rédemptrice, d’où émerge la vision auréolée d’une Violetta virginale flottant dans une cascade de mousseline. L’héroïne étincelante se relève de son linceul, transfigurée par l’amour, par la vie, la conscience collective culpabilisée attendant la mort à sa place ! ¶
Praskova Praskovaa
La Traviata, Giuseppe Verdi
Opéra en trois actes, livret de Francesco Maria Piave
Créé à Venise, au teatro La Fenice, le 6 mars 1853
Direction musicale : Alain Altinoglu
Conception et mise en scène : Jean-Paul Scarpitta
Chef de Chœurs : Noèlle Geny
Distribution
Violetta Valery: Monica Tarone
Alfredo Germont: Marius Brenciu
Giorgio Germont : Stefano Antonucci
Flora Bervois : Marianne Crebassa
Annina : Christine Solhosse
Gastone de Letorières : Franck Bard
Le Baron Douphol : Jean-Marie Frémeau
Le Marquis d’Obigny : Thomas Dolié
Le Docteur Grenvil : René Schirrer
Giuseppe : Nikola Todorovitch
Danseurs : Julie Compans, Karine Pantaleo, Clémence Camus, Matthias Droulers, Fabien Delcausse, Nuno Roque, Pia Vinson
Orchestre National de Montpellier-Languedoc-Roussillon
Chœurs et Chœurs supplémentaires de l’Opéra National de Montpellier- Languedoc- Roussillon.
Décors : Albaka, peinture sous la direction de Selim Saïah, par Dominique Saïah et Marguerite Scrive
Création costumes : Atelier Caracco, Claudine Lachaud et l’Atelier de L’Opéra National de Montpellier
Coiffes et perruques : Atelier modiste Gregoria Reccio
Lustres par Jean-François Grand
Lumières : Urs Schônebaum
Opéra Comédie • Place de la Comédie •34967 Montpellier
Réservations : 04 67 601 999
Le 30 mai, 2, 4, 6, juin 2010 à 20h
Durée : 2 h 15
18 € – 60 €





