Le combat des chefs
Andris Poga, le gagnant | © Marc Ginot
Montpellier accueille, dans le cadre de l’année Franco-Russe, le Concours international de direction d’orchestre Evgeny-Svetlanov. En effet, sur une initiative de René Koering, surintendant de la musique, soutenu par Georges Frêches, la cité rend hommage à une grande figure du monde musical slave. Ayant dirigé ici même avec ferveur une production de « Madame Butterfly » en 2002, c’est en témoignage à son talent que cette compétition s’installe en nos murs. Chef de l’Orchestre d’État de Russie, compositeur et pianiste, contemporain de Chostakovitch, ce chef au parcours exceptionnel possède une belle discographie, dont une anthologie de la musique russe faisant toujours référence.
La compétition qui a reçu 354 dossiers, n’en a retenu que 30, et 18 candidats pour concourir à son prestigieux challenge. C’est dire l’enjeu… Une semaine, marathon pour l’Orchestre national de Montpellier, qui s’est prêté avec attention à cet exercice périlleux couronnant ses efforts par un concert de gala de lauréats. Ce sont les chefs de demain, ceux qui portent la tradition et l’élan novateur nécessaire au rayonnement des grands orchestres symphoniques de ce monde…
Les épreuves se déroulent en présence de Nina Svetlanova, épouse du chef disparu, et avec l’attention optimale d’un jury international trié sur le volet, présidé par Vladimir Ashkenazy. Malgré le rythme infernal, et sous le joug de baguettes différentes, l’O.N.M. très impliqué fait preuve de docilité, d’allégresse et de patience. Les musiciens de l’orchestre démontrent sans rechigner l’excellence de leur niveau, la beauté de leurs interventions et la marge de progression constante du son de leur phalange.
Compte tenu des particularités techniques de cet art, les épreuves finales ouvertes au public n’ont attiré qu’un petit noyau de connaisseurs. Pendant ces auditions, on aura beaucoup entendu de scolaire, du fragile, du désincarné, du stressé et soudain de la vie, de la musique qui vole, du sublime. C’est étonnant comme un vrai chef frôle le divin, il a ce pouvoir incroyable de faire vivre le son ou de le faire mourir. A travers une sonorité purement physique, il contrôle la propagation sonore d’une œuvre, et nous entraîne dans une dimension métaphysique. Ce fut le cas des cinq finalistes d’un niveau d’exception qui nous ont soumis à ces moments d’une rare intensité.
En une heure et quarante minutes, hormis les œuvres imposées – Tableaux d’Espagne de Svetlanov, et le premier mouvement de la 4e Symphonie de Tchaïkovski, les candidats disposaient d’une œuvre au choix pour démontrer leur professionnalisme et la quintessence de leurs aptitudes.
Robert Trevino, chef américain de 26 ans, doté d’une grande distinction gestuelle, possède déjà une maturité avérée adaptée au lyrique. C’est avec brio qu’il a produit une lecture à vue du Don Juan de Strauss dans un allant ronflant adapté à cette œuvre phare. Domingo Hindoyan, vénézuélien de 30 ans, l’ange fougueux déchu de cette compétition, a exalté son panache et ses connaissances à travers l’Oiseau de feu de Stravinsky.En partant d’une cellule rythmique et du respect de son exécution, il a proposé une séance de travail perfectible sur des extraits de la Danse infernale en démontrant que ce l’on n’entend n’est pas le tempo, mais le contenu habité de la musique à une certaine vitesse.
Daniel Cohen, Israélien de 26 ans, troisième lauréat, plus aérien, a présenté la 2e Symphonie de Beethoven avec beaucoup d’intelligence, dans une clarté sonore galvanisante. Il devrait être excellent dans le contemporain, le baroque et la musique de film. Christophe Altstaedt, Allemand de 30 ans, second lauréat, prix également du public et de l’orchestre, a interprété la 1re Symphonie de Schumann dite « Printemps » et son Concerto de piano avec Ciccolini lors du gala. Sa direction précise, attentionnée, vive, rassemble les goûts les plus divers. C’est un chef multi répertoire au talent raffiné.
Les finalistes | © Praskova
Andris Poga, Letton de 30 ans, vainqueur magnifique de cette joute musicale, est le chef céleste de ce ring. Sobre, puissant, connecté au sol, il a donné une version colorée et resplendissante des Danses symphoniques de Rachmaninov… L’amplitude de sa gestuelle étonnante paraît contenir l’espace dans son aura, il n’y a pas de chair dans cette battue-là, juste une volonté musicale pure qui vise l’infini. Quand il relâche sa baguette, ou la pose pour se fondre dans un mouvement optimal entre respiration corporelle et masse orchestrale, sa volonté musicale paraît sans limites, même s’il se heurte encore à des détails techniques, intellectuels ou auditifs. Un immense talent qui fait l’unanimité. Sa version de la 4e symphonie de Tchaïkovski lors du gala rappelle, par l’ampleur de sa générosité et son identité de Letton, celle des grandes baguettes slaves de notre siècle, Mariinsky, Temirkanov, Gergiev et le maestro Svetlanov. ¶
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Concours international de chef d’orchestre Evgeny Svetlanov, du 10 au 15 Mai 2010
Nina Svetlanova, Georges Frêche, Marina Bower, René Koering, Hélène Mandroux
Membres du jury
Président du jury : Vladimir Ashkenasy : pianiste, chef principal et conseiller artistique de l’Orchestre symphonique de Sydney, directeur musical de l’Orchestre des jeunes de l’Union européenne, chef principal de l’orchestre honoraire du Philarmonia Orchestra, N.H.K Symphony Orchestra et de l’Orchestre symphonique d’Islande.
Membres
Numa Bischof Ullmann : directeur de l’Orchestre Symphonique de Lucerne
Jean-Claude Casadessus : chef d’Orchestre, fondateur et directeur de l’Orchestre national de Lille, directeur du Lille Piano(s)-festival, président de Musique Nouvelle en Liberté.
Antony Fogg : directeur artistique de l’Opéra et Orchestre de Boston et du Festival de musique de Tanglewood.
Lawrence Foster : directeur musical de l’Opéra et de l’Orchestre national de Montpellier-Languedoc-Roussillon et directeur musical de l’Orchestre de la Fondation Gulbenkian.
Stephan Gehmacher : directeur de l’Orchestre Bayerischer Rundfunk.
Alexander Valkouski : chef d’Orchestre invité
Candidats :
Christoph Altstaedt, Victor Aviat, Jakub Chrenowicz, Daniel Cohen, Ilya Gaisin, Dominic Grier, Domingo Hindoyan, Jansen Knud, Stamatia Karampini, Yoshinao Kihara, Mikhail Leontyev, Benjamin Levy, Andris Poga, Anna Skryleva, Robert Trevino, Robert Tuohy, Bruno Weinmeister, Michael Young
Concert de Gala le samedi 15 Mai 2010, 20H00.
Le Corum- Opéra Berlioz à 20 heures, entrée libre
Orchestre National de Montpellier Languedoc –Roussillon
Piano : Aldo Ciccolini
Œuvres
- Evgeny Svetlanov : Tableaux d’Espagne
Direction : troisième lauréat, Daniel Cohen
- Robert Schumann : Concerto pour piano et orchestre en la mineur Op 54
Direction : second lauréat, Christoph Altstaedt
- Piotr Ilitch Tchaïkovski : Symphonie n°4 en fa mineur Op 36
Direction : premier lauréat, Andris Poga
Renseignements : 04 67 60 19 99







