Orchestre du théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg. Direction Valéry Gergiev. Intégrale des symphonies de Piotr Ilitch Tchaikovski, Salle Pleyel, Paris.

Valéry Gergiev, chef d'orchestre | © Fred Toulet / salle Pleyel

Ecrit par Praskova Praskovaa

Jan 2010

Valery le terrible !

 

Pour l’ouverture officielle des festivités France-Russie 2010, où plus de 350 manifestations diverses sont prévues entre les deux pays, la salle Pleyel reçoit le très charismatique Valéry Gergiev et l’orchestre du Mariinsky.

Après avoir réalisé les intégrales de Chostakovitch, Prokofiev, Beethoven, Mahler, le maître s’attaque cette fois-ci aux six symphonies de Tchaïkovski. C’est en visionnant l’évolution de l’écriture du compositeur et en prêtant une attention particulière aux trois premières pièces trop peu jouées, que Gergiev aborde ce cycle en espérant en tirer la substantifique moelle. Dans un souci d’interprétation visant l’excellence, il imprime à chacune un style. Et l’humeur galvanisante de sa direction sur sa phalange parfaitement domptée !

Ce dernier concert débute par la troisième symphonie. Peu entendue, chaleureuse, composée dans des conditions idéales pendant l’été 1875, elle n’a pas marqué outre mesure le compositeur, ni défrayé la chronique. Son originalité réside plutôt dans sa structure rappelant celle des suites orchestrales ou des ballets. Une marche funèbre prémonitoire l’amorce, mais les deux scherzos donnent à l’ensemble une vivacité tonique et un optimisme frivole entraînant. L’esprit de la danse domine ! Ici, la musique vole, on ne fait pas cas des notes, mais plutôt de l’élan sonore. Aucune perte d’énergie de la part du chef et encore moins des musiciens. La texture est dense, légère, sans à-coups dans un bourdonnement continu de cordes ou dans un mouvement ample et soutenu.

Gergiev reste sobre, il ne sur dirige pas cette musique somme toute enjouée et classique. Il instaure une pulsation rythmique adéquate et des couleurs appropriées dans une économie de gestuelle spectaculaire, insufflant ce qu’il faut quand nécessaire. Il impose sans s’émouvoir une virtuosité sonore par une direction manuelle du bout des doigts, décrochant chaque note d’un clavier imaginaire. Cette démonstration magnifique s’achève sans effets spéciaux particuliers, mais dans une affluence vibratoire éclatante, où l’orchestre électrisé nous offre toute la richesse énergétique de sa palette émotionnelle.

En seconde partie un des sommets du répertoire russe : la sixième Symphonie dite « Pathétique ». Celle-ci fut présentée le 23 octobre 1893, et elle est, de Tchaïkovski lui-même « la meilleure et la plus sincère ». Elle s’achève d’ailleurs sur un Adagio lamentoso prémonitoire puisque le compositeur disparaîtra neuf jours plus tard. La difficulté dans cette pièce aux enregistrements multiples, c’est d’arriver à la dépoussiérer. C’est précisément ce que Gergiev va nous proposer. La lente introduction s’épanouit immédiatement dans une coloration sombre des cordes basses, et diffuse une mélopée envoûtante au basson solo. Le maestro fait de son développement un dialogue aéré où flûtes, clarinettes, bassons se chamaillent sur une ruche foisonnante de cordes, jusqu’au retour solennel des cuivres en unisson aux pizzicati, tel un cortège funèbre. Le scherzo et le trio dans une forme valsé à 5/4 est lugubre à souhait, égrené par les violoncelles dans l’aigu dans une lumineuse intonation. Les coups de timbales cinglantes s’enchaînent avec maestria sur une pédale de qui envahit la formation en grondant, comme une menace sous-jacente. Le troisième mouvement est triomphant.

Gergiev confirme ici son talent en laissant éclater l’orchestration chatoyante de l’orchestre. Il imprime à la marche une forme concentrée, tout en offrant une liberté interne aux instrumentistes. Le bavardage des vents et des cordes en triolets peut donc se déployer, Gergiev acculant ses artistes à une extrême virtuosité dans le trio final, jusqu’aux accords fortissimo martelés par les cuivres. Ce joug imposé est d’un effet sans pareil. C’est certainement dans le dernier mouvement que le maître donne toute la puissance créatrice de son interprétation. Il puise une énergie irréelle au sein de son orchestre. Le thème principal des cordes, ascendant, est un chef-d’œuvre absolu d’écriture. Arpégé en tierces et quintes successives, il se présente sous forme d’écheveau. Gergiev l’élève lentement comme une inspiration extrême, élargie au maximum dans son tempo, et mourant dans l’expiration habitée du silence qui lui succède. Le détachement en suspensions harmoniques du gong pianississimo qui suit alors est bouleversant d’intensité. Le son d’orchestre est poignant, apportant à l’œuvre une qualité dramatique peu égalée. La salle restera en apnée, n’osant rompre ce deuil pressenti et la concentration magistrale du maître, Valéry Gergiev ! 

 

Praskova Praskovaa

Les Trois Coups

 

Intégrale des symphonies, de Piotr Ilitch Tchaïkovski

Direction : Valéry Gergiev

Orchestre du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg

Programme 29 janvier à 20 heures

  • Symphonie n°3
  • Entracte
  • Symphonie n°6 « Pathétique »

Manifestation organisée dans le cadre de l’Année France-Russie 2010

Salle Peyel • 252, rue du faubourg Saint-Honoré • 75008 Paris

Réservations : 01 42 56 13 13

www.sallepleyel.fr

Lundi 25, mardi 26 et Vendredi 29 janvier 2010 à 20 heures

Durée : 1 h 50

1O € – 55 € – 130 €

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