Humeur Slave ! Fougue et dilettantisme
C’est à l’occasion du centenaire des ballets russes, que le Théâtre des Champs-Élysées reçoit, pour trois soirées prestigieuses, le Philharmonique de Saint-Pétersbourg et son illustre chef Yuri Temirkanov.
Personnalité emblématique internationale, figure incontournable du monde musical russe, ce dernier dirige le Philharmonique, qui est la plus ancienne formation du pays depuis 1988. Déployant son talent et son savoir faire à travers le monde, cet ambassadeur incontesté de l’âme slave perpétue avec sa phalange la grande tradition musicale et sonore du « son russe » : notamment dans le principe du pupitre des cordes.
Un correspondant de la presse musicale moscovite est dans la salle, à mes côtés. C’est dire l’importance du concert… L’orchestre s’installe, 110 musiciens s’approprient l’espace en formation russe : tous les instruments sont au même niveau, avec les violoncelles au centre des pupitres de cordes. Le premier trait du concerto de violon en ré majeur de Tchaïkovski semblable à une coda, se déploie comme un long plaidoyer autobiographique, exprimant l’inutilité d’un acte de convenance, le mariage, et une homosexualité déchue. L’acoustique du lieu est magique : l’adoption récente d’un décor de scène en bois offre une résonnance douce et pleine du son d’orchestre. Le piano dense mais discret du tutti, diffuse une pulsion souterraine palpitante des cordes, comme une pédale harmonique qui permet au soliste de se poser pour prendre sa place de leader. Le violon de Sergej Krylov est un Stradivarius de Cremone de 1734, il a une sonorité moins puissante, légèrement voilée, mais la technique de cet artiste est stupéfiante, emprunte d’une synergie rythmique haletante : celle des mouvements de l’âme slave. Le chef se prête admirablement à cet exercice de style qui laisse le soliste prendre l’avantage. Les deux hommes œuvrent dans une symbiose musicale complice parfaite.
Le second mouvement entre pudeur et dépression, égrène aux bois plusieurs accords descendants à la justesse très approximative. La plainte déchirante qui s’ensuit achève d’émerveiller nos sens, et l’on s’accroche à chaque note juste avant de basculer dans le vide du désespoir. Suit un allegro vivacissimo, où la force de vie reprend ses droits. Dans une explosion de couleurs, de rythmes syncopés et de virtuosité, l’orchestre s’embrase, et le soliste l’éclabousse de son agilité. Son aplomb est d’une efficacité confondante. La légèreté de ces pizzicati, et ces enchaînements dans les ruptures de tempo se propagent en un seul souffle. Dans une sonorité brillante, enlevée, Sergej Krylov dialogue avec les autres musiciens, partage sa jubilation tandis que la mèche de son archet vole autour de lui, ponctuant sa joie et la nôtre. La présentation magnifique d’une énergie dans le respect de l’œuvre.
L’enchaînement avec le Sacre du Printemps nous plonge dans un état mystique profond : le rituel païen de la Sainte Russie débute. Ce ballet où amour et sexualité y folâtrent revêt une esthétique orchestrale et rythmique complexe. On y trouve des accords pesants aux cordes qui activent la libido et éveille les pulsions. Temirkanov, connu pour le cisèlement de ces phrasés et sa motricité rythmique implacable, donne parfois à ses interprétations cette tension insoutenable qui devrait convenir à cet ouvrage. Dans sa propre conception du son russe, on trouve les contrebasses comme socle du son jusqu’aux violons en conception sonore pyramidale, allégeant la sensation parfois trop compacte des orchestres soviétiques. Malheureusement le maestro a un peu trop confiance dans sa phalange. Ce soir-là, il n’est ni présent ni absent. Rivé sur sa partition, ce qui parait incroyable, il laisse jouer l’orchestre dans une respiration ample et sauvage. Cela donnera une œuvre désordonnée manquant de précision avec des traits qui se courent après, des départs manqués, et des soufflants un peu bas. Le son se propage dans une volupté profonde et une exubérance technique qui masquent les détails. Cette maîtrise bancale aux couleurs inépuisables nous entraîne malgré tout dans l’ivresse des harmonies de Stravinsky et de ces jeux de timbres incroyables : bois et cuivres, percussions très présentes, et un timbalier un peu faiblard ! Dommage que cette partition nécessitât une direction plus précise, voire une gestuelle parfaite. Monsieur Temirkanov, qui mène son monde habituellement sans baguette, aurait peut-être dû utiliser lors de ce concert, comme son génial homologue Valéry Gergiev, un cure-dent pour diriger !
C’est certainement pour se faire pardonner d’un certain dilettantisme que le concert s’achève sur deux bis de l’orchestre, par cœur, dans un panache irréprochable. La grande tradition du son russe au sommet de son art, dans une force de vie, d’ivresse et d’énergie inépuisable. Enthousiasmant. ¶
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Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg
Direction : Youri Temirkanov
Violon : Sergej Krylov,violon
Cycle ballet russe
Tchaïkovski : Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op. 35
Stravinsky : le Sacre du Printemps
Théâtre des Champs-Elysées. 15 Avenue Montaigne. 75008 Paris
Réservation : 01 49 52 50 50
Vendredi 27 novembre 2009 à 20 heures
85 € à 5€
http://www.theatrechampselysees.fr/index.php
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