« Salomé », de Richard Strauss. Direction Alain Altinoglu. Opéra Bastille, Paris.

« Salomé » | © Opéra national de Paris/Frédérique Toulet

Ecrit par Praskova Praskovaa

Nov 2009

« Le mystère de l’amour est bien plus grand que le mystère de la mort. »

 

Pour la troisième fois, la reprise de « Salomé » dans la production de Lev Dodine a encore attiré un public fidèle. Et ce, malgré une mise en scène beaucoup trop statique, reposant essentiellement sur le jeu d’actrice de Salomé. Tiré du livret de la pièce d’Oscar Wilde, cette œuvre morbide et ardue continue d’alimenter les esprits par son originalité d’expression et la cruauté de son propos. Son dialogue vocal dense et continu demande une énergie considérable parallèlement au débit d’une orchestration flamboyante. Celle-ci génère les mouvements de l’âme et de l’action. Ceux de la transmutation du désir en sang et en mort.

C’est un vendredi 13, deux ifs noirs pourfendent le ciel sous une lune menaçante et fantomatique. Baignant dans une atmosphère mordorée, le décor unique de David Borovsky impose une belle ordonnance des volumes dans un classicisme orientaliste chaleureux. Les costumes amples et lumineux, robe de Derviche, donnent du mouvement et l’envie de se perdre dans la danse. Malgré ce premier éclat visuel poétique au cœur des jardins de Babylone, peu d’action, même si finalement cette léthargie scénique a le mérite de concentrer toute notre attention sur le travail fulgurant des voix et la beauté inouïe de la musique.

Mais où se cachait Lev Dodlin ?

Le plateau offre une homogénéité satisfaisante dans les prestations, bien que les voix accomplissent leur tâche avec ténacité mais sans ferveur particulière. Camilla Nylund dans le rôle-titre tire son épingle du jeu par son engagement vocal et la variété des couleurs qu’elle infuse. Mais sa Salomé reste frêle, voire insuffisante en matière de projection de timbre pour un rôle aussi lourd. Malhabile dans ses déplacements, elle est dépourvue de sensualité et frôle le ridicule dans l’effeuillage des sept voiles. On atteint des sommets lorsqu’elle s’écroule suffocante en shorty bleu clair. Mais où se cachait Lev Dodlin pendant ces dix minutes orchestrales sublimes ? Vincent Le Texier campe un Jochanaan mature, mais les incertitudes de son émission empêcheront les harmoniques algues de parvenir jusqu’à nous, et sa couleur restera, ce soir-là, fort terne. Thomas Moser en Hérodes, précieux à souhait, instaure par son jeu et sa diction cette atmosphère orientale si particulière à l’œuvre. Alliant humour et fantaisie à sa ligne mélodique, il se joue des difficultés et fluidifie aussi la pression du drame.  Je citerai personnellement encore, la prestation de la basse Grégory Reinhart, cinquième juif, d’une souplesse et d’une beauté d’émission surprenante au cœur de cette distribution.

C’est à la direction de l’Orchestre national de Paris que revient l’intérêt de cette reprise. Alain Altinoglu, jeune chef de 34 ans, transcende la partition par une battue magnétique qui incarne à souhait l’ambiguïté du désir de Salomé. Respirant charnellement cette musique sombre, immense, il tisse sa toile orchestrale comme un marionnettiste, conférant à l’onde sonore une énergie profonde, stable et continue. L’atmosphère en demi-teinte qui s’en dégage permet de contenir l’éclatement des harmonies straussiennes, comme une menace sous-jacente au cataclysme final (Man totes des weib ! *). Alternant la virtuosité jaillissante des traits de cordes avec la noirceur des élans, il adapte sa pulsation à un souffle vocal libre où chaque voix s’épanouit sans jamais être couverte. Son engagement physique lui permet d’enchaîner le flux dans un état quasi médiumnique, créant une symbiose entre l’orchestre et le plateau. En libérant la tension du désir et la violence du propos, il fait éclater la profusion des couleurs de l’orchestration. Le son qui émerge de la fosse est prenant, il s’épanouit dans un raffinement intellectuel survolté. I y a du Don Juan dans cette direction-là ! 

 

Praskova Praskovaa

Les Trois Coups

 * ” Qu’on tue cette femme !”

Salomé, de Richard Strauss (1864 – 1949)

Drame lyrique en un acte

Livret d’Oscar Wilde dans une traduction allemande d’Hedwig Lachmann

Direction musicale : Alain Altinoglu

Orchestre national de l’Opéra de Paris

Mise en scène : Lev Dodlin

Décors et costumes : David Borovsky

Lumières : Jean Kalman

Chorégraphie : Jouri Vassikov

Dramaturgie : Mikhaîl Stonine

Collaboration artistique : Valéri  Galendeev

Avec : Thomas Moser ( Hérode), Julia Juon ( Hérodias),  Camilla Nylund ( Salomé), Vincent Le Texier ( Jochanaan), Xavier Mas (Narraboth), Varduhi Abrahanyan ( page de Hérodias), Wolfgang Ablinger ( Sperrhacke, Erste Jude), Eric Hocbet ( Zxeiter Jude),  Vincent Delhoume ( Dritter Jude), Andréas Jâggi ( Vierter Jude), Gregory Reinhart ( Fùnfter Jude), Nahuel Di Pierro ( Erster Nazarener), Ugo Rabec ( Zweitr Nazarener), Nicolas Coujal ( Erster Soldat), Scott Wilde ( Zweiter Soldat), Antoine Garcin ( Ein Cappadocier)

Opéra Bastille* place de la Bastille* 75012

https://www.operadeparis.fr/

Vendredi 13 novembre à 20 heures

1h40 sans entracte

De 5e à 138€

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