M. le maire a des convictions culturelles
Lattes, cette jolie ville de 17000 habitants dans l’agglomération de Montpellier, est dotée d’un théâtre coquet de 400 places. Géré par la municipalité depuis 2006, le Théâtre Jacques Cœur qui devait fermer ses portes faute de soutiens financiers, a trouvé son mécène en la personne de Cyril Meunier, maire de Lattes. Cet homme enthousiaste et passionné possède une conscience éclairée de la valeur de la culture en générale et du théâtre en particulier. Par un engagement politique sans faille, il s’est impliqué pour soutenir, accompagner et protéger les choix culturels de sa ville ainsi que leurs infrastructures. Renaissant ainsi de ses cendres, le plateau de Jacques Cœur entame sa troisième saison. Plus qu’un théâtre municipal, il est devenu un théâtre identifié, un théâtre à part entière.
Régie depuis 2008 par Frédérique Muzzolini, directrice talentueuse, la programmation imprime sa nouvelle tendance par des choix originaux, parfois inattendus mais toujours judicieux. A l’aube de cette nouvelle saison ponctuée d’incertitudes, après investigations sur les grandes places artistiques actuelles d’Avignon à Paris, les choix artistiques ont été définis dans la continuité et l’orientation d’un théâtre classique et moderniste. Tendant à la maturité, cette nouvelle programmation revisite les dramaturges incontournables tels que Pinter, Shakespeare, Molière, en invitant tout au long de sa saison des metteurs en scène talentueux tels Le Louêt, Borie, Peter Brook. Lattes recevra aussi le 30 avril la Comédie-Française avec un monologue de Pierre Desproges, et des comédiens de renommée tels que Jean-Louis Trintignant, Jean-Laurent Cochet ou Arnaud Denis jeune premier inspiré, pour ne citer qu’eux. Tout est réuni ici pour défendre le spectacle vivant en produisant des auteurs et des œuvres de qualité et créer une intimité entre le public, les acteurs et la scène.
Après une conférence de presse remarquable, sous l’égide de M. le maire, de la déléguée à la culture Madame Hélène Cotte-Dunand, des élus, présentée par la directrice du théâtre plein à craquer où le Tout-Lattes se presse, je constate qu’une solidarité étonnante s’est mise en place pour défendre et appuyer ce théâtre désormais bien vivant !
Monsieur le maire, Cyril Meunier, me reçoit peu après dans ses locaux, disponible, accueillant, engagé, carrure altière, très grand, aux yeux francs pour me parler de cette belle réussite culturelle.
Praskova – Monsieur le maire bonjour, avant tout j’aimerais comprendre d’où vous vient cette passion du théâtre ?
Cyril Meunier – « Ça a débuté comme ça ». L’histoire est simple, je suis un enfant des cités pas faciles en région parisienne. Dans les années 1970, le gouvernement a organisé des collèges pilotes pour attirer la jeunesse des quartiers difficiles, et a instauré des ateliers divers de sport et culture. Mes parents étant des gens férus d’art et de cinéma, notamment de théâtre, m’ont fait grandir dans cette ambiance. C’était la grande époque des cafés théâtres. A 12 ans, j’ai donc intégré un atelier de théâtre où des professeurs sévères m’ont formé avec rigueur en n’enseignant les bases essentielles de cet art. Par la suite, j’ai pris des cours, mais n’étant pas un bon acteur, je ne suis monté sur scène qu’une fois pour un rôle mineur dans Comme il vous plaira de Shakespeare, je me suis vite assis aux pieds du metteur en scène. Arrivé en faculté à Nanterre, j’ai créé à l’occasion de l’anniversaire de Shakespeare, le Théâtre du Globe, nom d’origine du théâtre de Shakespeare et j’y ai œuvré en qualité de directeur et de metteur en scène pendant trois ans avant de cesser.
Praskova – Est-ce que votre expérience théâtrale vous a servi dans votre carrière ?
Cyril Meunier. – Oui, mais pas uniquement en politique, dans mes études supérieures et dans mes premières fonctions : pendant 16 ans consultant en développement local et conférencier. Tout ce que j’ai appris sur les planches m’a servi, on a ça dans le sang ou pas ! Monter sur une tribune quelle qu’elle soit devant 4 ou 500 personnes ou passer à la télé ne m’a jamais gêné. En même temps, ce ne sont pour moi que des facultés naturelles, ni peur ni trac. J’éprouve du plaisir à parler et charmer, être en représentation, cela me plait. Ce sont des techniques professionnelles qui me permettent d’être nez à nez avec des journalistes en direct à la télévision ou à la radio, de maîtriser la langue, le conflit politique et la joute oratoire. Néanmoins, ma plus grande joie est dans mon bureau de maire à ordonner et à structurer la commune et l’agglomération, trouver des solutions pour aider les gens. Je suis metteur en scène dans l’âme !
Praskova – Le théâtre Jacques Cœur est le cœur battant des lattois. Quelles sont les différentes activités, animations et prestations qui ont été mises en place par la municipalité pour faire vivre ce théâtre en permanence ?
Cyril Meunier – Avant tout c’est un lieu culturel. Le bâtiment et le personnel reçoivent une saison théâtrale, mais ils reçoivent aussi tout le tissu des associations pour faire leurs répétitions, leurs rencontres et leurs propres spectacles. Premièrement, pour que ce lieu reste ouvert en permanence, j’y ai transféré l’office du tourisme. Ainsi, touristes, Lattois, curieux, visiteurs de tout âge peuvent passer ici quand bon leur semble. Deuxièmement, j’ai installé un coin convivial avec 12 canapés et de la lecture : revues et bouquins divers venant de la bibliothèque afin que tout le monde puisse venir partager un moment de détente soit pour lire, soit pour dialoguer et rencontrer des artistes en résidence. Nous invitons aussi et régulièrement les scolaires à quitter leurs écrans et venir se plonger dans un univers de proximité où nous organiserons des conférences, des heures de conte, de lectures, un ou deux concerts de musique classique ou de Jazz par semaine, et la venue de psychologues et de psychiatres débattant de sujets ayant trait à l’humain. Nous sommes dans une logique de partage, la logique du café-théâtre, à l’exemple du lucernaire. C’est le salon des lattois. Il ne faudrait pas oublier, l’aile gauche du bâtiment Jacques Cœur abrite l’école de musique de Lattes, et donne à notre ville un ensemble culturel stratégique, un lieu de diffusion artistique.
Praskova- Pourrions-nous connaître les motivations qui vous poussent à défendre le théâtre vivant ?
Cyril Meunier – Je rebondis sur votre première question, et je rends au théâtre ce que le théâtre m’a donné. Je suis intimement persuadé qu’un monde sans culture est une aberration. Nous sommes dans une période d’individualisme croissant qui ne se pose pas uniquement en terme économiques (libéralisme et activisme), mais aussi sur le plan humain avec l’augmentation de la fracture du lien social et de l’explosion de la cellule familiale. J’ai très peur de toutes ces technologies qui nous ouvrent des horizons fabuleux, mais cultivent notre solitude intellectuelle.
Si on ne défend pas le spectacle vivant, théâtre, danse, opéra, concert etc., on va au-devant de graves problèmes. En consommant un produit culturel à partir du virtuel, on accélère l’individualisme. En s’asseyant dans une salle pour partager une rencontre humaine avec cette notion de mise en danger qui est de se livrer à autrui en abandonnant une forme de liberté, on défend l’humanisme. Se sont toutes ces valeurs profondes que le spectacle vivant propose.
Praskova – Le budget actuel du théâtre Jacques-Cœur est de 500 000 euros. Quelles sont les collectivités qui vous aident à opérer ce financement ?
Cyril Meunier. – Nous sommes soutenus par la région Languedoc-Roussillon, le conseil général, Montpellier agglomération, la direction générale des Affaires culturelles. Mais la commune verse tout de même 350 000 euros.
Praskova – Quelle forme de partenariat entretenez-vous avec la direction du théâtre ?
Cyril Meunier – A la première saison, lorsque la commune a repris le théâtre, dans un esprit de simplicité et de compétence objective, j’ai fait la programmation. J’avais demandé à Madame Muzzolini, directrice administrative en 2005 à l’époque du centre régional et cela juste avant sa dissolution, de reprendre son poste. A la seconde saison, ne pouvant cumuler les fonctions de maire et autres, au grand dam de certains…, je lui ai demandé de prendre le poste de directrice artistique, ce qu’elle a fait avec un engagement sans faille. Nous avons donc, avec les élus, écouté ces propositions artistiques et accompagné ses choix avec comme résultat une belle programmation, pleine d’espoir.
Praskova – Avez -vous un livre de prédilection ?
Cyril Meunier – Oui, en ce moment : Novecento d’Alessandro Barrico. J’aurais adoré en faire la lecture, mais le cumul de mes fonctions nous rend nous élus comme de sous-citoyens privé de droit ! (Sourire…)
Praskova- Un diner idéal ?
Cyril Meunier. – Si conjoncturel : Mandroux, Frèche, Vezineth. Si intérêt : Ardisson, Ockrent, Giesberg pour pouvoir dialoguer avec ceux qui observent. Si Théâtre : Hossein, Mouchkine et Polanski pour les remercier d’émotions passées.
Praskova – Une citation qui vous inspire ?
Cyril Meunier. – « Aurions-nous tort que nous aurions raison. » C’est une phrase que je porte en moi, mais je n’arrive pas toujours à l’utiliser. Je trouve qu’elle s’applique bien à un engagement communal financier pour un théâtre : puisque ça coûte cher, que ça concerne un petit public, et que ce n’est pas obligatoirement dans mes compétences… Cela étant, c’est un magnifique défi à relever, et on peut avoir raison pour des raisons qui sont autres… ¶
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Théâtre Jacques-Cœur • avenue Léonard-de-Vinci, Port-Ariane • Lattes
Renseignements : 04 99 52 95 00
Billetterie : 04 67 22 52 91
Ouverture de la saison le 26 septembre 2009 :
Jean-Louis Trintignant sur des textes de Prévert, Vian et Desnos
Création en résidence au Théâtre Jacques-Cœur
Création lumières : Orazio Trotta
Régie générale : Karine Assathinay
Régie lumière : Alain Chapuis
Régie son : Nathalie Cabrol
Production : Les Visiteurs du soir
24 € – 14 €





