Les tribulations d’un messager
Originaire de Bulgarie, attaché à la France ce baryton- basse au timbre clair-obscur est issu du conservatoire de Sofia. Il se trace une belle carrière sur notre territoire et en Europe, malgré une certaine amertume sur les difficultés d’embauche de ce métier « d’intermittent du spectacle ».
Ayant été recruté par le C.N.I.P.A.L. Lors de son installation en France en 1992, et l’avoir quitté brusquement pour des raisons d’incompatibilité directionnelle, il obtient en 1993 le Premier Prix au concours d’Alès et concrétise par la suite son premier contrat offert par Antoine Bourseiller : Masetto dans Don Giovanni. Ce contact avec notre pays lui permettra de concrétiser ses premiers engagements. (1)
En 1995, il intègre le centre de formation lyrique de l’Opéra national de Paris et finit finaliste du concours Pavarotti de Philadelphie. En 1998, il auditionne en Allemagne et fait ses preuves pendant deux ans dans une troupe ou il interprète une série de rôles qui couvrent l’ensemble des possibilités de sa tessiture. (Politique des théâtres allemands pour former des Chanteurs lyriques solides). (2)
Depuis, les engagements s’enchaînent avec plus ou moins de régularité (3)
Nous avons rendez-vous au château de Lacoste pour un Barbier de Séville haut en couleur dans une mise en scène enlevée de J-F Vincciguerra, où il chantera le conte Almaviva le 14 et 16 juillet 2009.
Grand, sec, les cheveux tirés en arrière avec une queue de cheval gris pommelé cette homme semble être voué à son art dans un ascétisme de « zénitude ». Une fine moustache ajoute un charme discret à ses traits slave. D’une timidité certaine, son regard semble se perdre dans une concentration interne. Sa voix est profonde, rauque, appuyée d’un léger accent descendant, dans un français parfait, calme et élégant.
Praskova – Comment êtes-vous venu au chant, et quel fut votre formation ?
Evguenyi Alexiev – Je suis né à Sliven. Ma mère a toujours eu une grande influence sur la mise en œuvre de mes capacités. Lorsque j’avais 8 ans, après une audition, elle m’inscrivit dans des chœurs d’enfant. A 13 ans, alors que je muais, j’intégrais un chœur mixte et vers 17 ans le chœur de l’opéra afin d’être un peu indépendant financièrement. Le chant était une passion, mais je n’en tenais pas vraiment compte. Parallèlement, je faisais des études linguistiques au lycée Français (une autre idée de ma mère, liée à certaines facilités que j’avais). Un jour, nous reçûmes au chœur un chef de chant qui m’auditionna et me fit comprendre que j’étais fait pour ce métier. J’avais une voix longue et puissante, et j’entrais au conservatoire de Sofia, où j’obtins un premier prix à 21 ans avec un sol de toute clarté dans l’air de Rigoletto « Parisiamo ».
Praskova – Pour entretenir votre instrument avez-vous un régime de vie particulier ?
Evguenyi Alexiev – N’ayant pas la possibilité de voir mon professeur qui est en Bulgarie, je suis à la merci du public et de ceux qui veulent bien me dire ce qui ne va pas. En effet, la remise en question sans contrôle extérieur est une gageure. En même temps, je suis assez content, car j’ai développé un esprit rebelle et je ne peux travailler qu’avec des gens avec qui je partage le travail. J’accepte les critiques, mais je veux aussi qu’on accepte mes choix artistiques et vocaux. Je ne peux plus être un simple élève sous les ordres de…
Je travaille beaucoup sur mon corps. J’utilise la position de lotus pour relâcher et centrer mon énergie. De même, j’ai fait des nettoyages de yoga pour remettre mon organisme en symbiose avec mon esprit et j’ai changé ma manière de manger. Je suis végétarien, je ne mange plus de viande rouge.
Praskova – Comment préparez-vous un ouvrage ?
Evguenyi Alexiev – Il me faut très peu de temps, 8 jours de travail à la table pour la mémoire, c’est assez fastidieux. Lorsque l’œuvre est en moi je commence à la chanter et je l’habite progressivement.
Je ne fais pas de vocalises, plutôt des exercices physiques musculaires pour réveiller le corps car la voix est là, elle se manifeste, elle est une source permanente de notre être. La confiance dans mon instrument est primordiale.
Praskova – Quel est à votre sens la qualité majeure à avoir pour faire ce métier ?
Evguenyi Alexiev – Le chant est une profession difficile, hormis la voix, la technique, le talent et la santé, sans aucun doute, et comme me disait mon premier maître Michail Tomachov, il faut avoir des Nerfs D’acier. En effet, 70% de la carrière se passent dans des problèmes à résoudre ou le mental peut fléchir. En effet ce n’est pas parce que l’on a des prix internationaux, la voix, les capacités physiques et morales, le talent, du métier avec des premiers et seconds plans plus ou moins réguliers que les contrats s’envolent. D’une part la crise, d’autre part l’élitisme cloisonnée du monde de l’opéra avec et notamment en France le règne des agents.
La voix est le miroir de ce qui se passe dans notre vie quotidienne, ce don de la voix est aussi le reflet de notre état physique et psychique.
Il y a longtemps déjà que j’ai fait le parallèle entre les arts martiaux et le chant basés sur l’équilibre du mental ainsi que sur la libre circulation de l’énergie et de la respiration.
Praskova – Quels sont vos rapports avec votre agent et quels sont choix de carrière ?
Evguenyi Alexiev – Dans ce métier, il y a peu de solutions. Il faut avoir du soutien ou avoir du culot…Le soutien que je reçois de mon agent n’est pas toujours très équilibré, il y a une forme d’isolement assez importante. Lorsque vous auditionnez, cela peut se passer très bien et ne rien donner. A ce sujet, faut-il encore avoir des auditions !
D’un autre côté, Je me considère comme un messager et j’ai beaucoup de mal à accepter à faire aussi mon propre agent. Demander pour moi est un casse-tête à cause d’une timidité extrême, même si je sens que je suis bon ou reconnu comme efficace. En France, on comprend mal pourquoi la vie est si dure pour les artistes lyriques. Finalement, il ya peu de théâtres, peu de productions et peu de postes.
Vous savez Praskova, j’ai quitté un état totalitaire avec de l’espoir et des certitudes, mais, ici comme ailleurs, il existe cette même forme de pression et de distinction à l’intérieur même du monde de l’Opéra.
Malgré cela, je pense qu’il est temps pour moi de reprendre des contacts à l’étranger. Je me sens plus fort mentalement, je suis directe mais courtois et bien élevé, et je me sens prêt à faire cet effort pour faire évoluer ma carrière.
Praskova – Des projets pour la saison à venir, et des rôles dont vous rêvez ?
Evguenyi Alexiev – Oui, je prépare Hortensius dans la Fille du régiment de Donizetti sur Montpellier en décembre 2009 et Platée de J.P Rameau, dans le rôle de Momus avec C. Rousset à Strasbourg pour février 2010 avec quelques autres petites choses…
J’aime beaucoup la musique française : Athanaèl, Golaud, et quelques autres rôles qui me tiennent à cœur : Iago, Rigoletto, Figaro, Leporello et Don Giovanni.
Vous savez, c’est étrange je n’ai pas été formé pour Mozart, en Bulgarie où les voix sont assez puissantes on le travaille peu. Cependant mon premier grand rôle a été Masetto, et je me débrouille vraiment bien dans ce répertoire !
Praskova – Un diner idéal ?
Evguenyi Alexiev – Bien sûr, avec Boris Christophe, Nelson Mandela, Miamoto Musachi (grand maître de sabre) et Jeanne de la Motte-Valois (Instigatrice de la révolution Française).
Praskova – Avez-vous un souvenir musical d’enfant ?
Evguenyi Alexiev – Oui, j’avais 4 ans, nous étions dans une fête foraine, les autos tamponneuses étaient en panne, un forain a pris le micro et a demandé si quelqu’un pouvait proposer une animation pendant la réparation qui s’éternisait. Alors, j’y suis allé et j’ai chanté une chanson en bulgare que j’entendais à la radio, Bella, Belinda. C’est bien des années plus tard que je sus que c’était une chanson italienne.
Praskova – Une phrase que vous aimez ?
– Ne soyez pas effrayé de l’apparence de l’enfer, entrez librement, et vous verrez qu’une grande victoire vous attend. (Maître Yi-King). ¶






