Vertige sonore au XXIème siècle
C’est le 19 juin 2009 que sera présenté au Centre Pompidou à Paris,
« L’air d’autres planètes », concert de musique contemporaine enregistré par France musique. En écho à l’exposition Kandinsky, ce concert met en parallèle l’abstraction picturale du peintre et « l’émancipation de la dissonance » chez Schoenberg. A cette occasion, le compositeur Philippe Schoeller mandaté par l’Institut de recherche et de coordination Acoustique (l’I.R.C.A.M) présentera son œuvre « Operspective Hölderlin », pièce expérimentale inspirée du poète suédois Hölderlin qui réunit le quatuor Arditti, la soprano Barbara Hannigan, et une nouvelle génération d’instruments usant de la projection d’énergie sonore. Une rencontre au sommet entre les arts et les sciences à travers une technologie en pleine évolution qui souscrit au renouvellement de la création contemporaine.
De pure formation classique (1), riche d’expériences, Philippe Schoeller est joué à travers le monde. Il est membre honoraire de l’I.R.C.A.M et a effectué d’importants travaux de recherche sur la synthèse sonore à travers de nouveaux instruments de lutherie virtuelle. Dotée d’une imagination puissante, cette figure musicale du XXIème siècle fait déjà office d’un catalogue d’environ 80 pièces musicales à formations variables – Hypnos Línea pour voix seule- Gaia pour flûte solo-Vertigo Apocalypsis oratorio;Totems pour grand orchestre- Alcyon fable écologique symphonique avec récitant- Flûgel concerto pour piano et orchestre ; Feuillage orchestre pour électronique spatialisée ;Winter dance, symphonie de chambre ; Versailles, musique de film etc.
Point de « néo » ou de copier-coller chez ce musicien Français avant – gardiste génial. Sa musique est bien la sienne. Il régénère notre tradition d’écriture et lui ouvre les portes de l’écho spatial et des résonnances invisibles de la nature… Un choc émotionnel qu’il faut savoir rencontrer.
Élégant, puissant d’une énergie rayonnante, il a l’aura d’un saphir très bleu, comme ses yeux emplis d’un lac de vertiges vibratoires. N’en doutons pas, cet être est une vieille âme selon les bouddhistes, et c’est un bonheur pour moi de rencontrer enfin ce créateur contemporain inspiré.
Praskova – Philippe vous semblez être amusé ?
Philippe Schoeller – Oui je suis ravi, je viens juste de récupérer un prix à la S.A. C.E.M pour la meilleure création contemporaine instrumentale 2009, From tree to soul, une médaille, et un diplôme ! Tenez, je vais la faire fondre en faire une bague et vous l’offrir !
Praskova – Pouvez-vous nous éclairer sur cette création et sur ce labeur mystérieux qui vous a cloitré depuis quelques mois avec un système sonore complexe dans les studios de l’I.R.C.A.M ?
Philippe Schoeller – En effet, je vais vous faire entendre le logiciel que j’ai créé – « Luciole », synthèse cellulo – vectorielle – avec une structure de 16 voix juxtaposées en demi-tons. L’utilisation des haut-parleurs permet d’accentuer la perspective du spectre sonore dans une réalité polymorphe. Après, il suffit de choisir la couleur à diffuser en usant de la projection électronique et la scénographie spatiale.
Les sons qui composent cette électronique sont de véritables télescopes et microscopes, ils sont d’une précision extrême et infinie due aux machines. Ils renferment nombre de chakras, beaucoup de réverbe, et s’épanouissent comme un feu d’artifice de couleurs avalées par l’espace. Il aura fallu 2 ans pour édifier ce programme toutes harmonies confondues, où chaque instrument sonore produit tous les instruments. C’est en quelque sorte la rampe de lancement pour la musique du prochain millénaire.
Praskova – Comment s’intègre la partie « classique » de l’œuvre, le quatuor et la voix soliste ?
Philippe Schoeller – Le quatuor et la voix éparse restent dans un principe tonal et dans la poétique d’une conquête sonore qui se promène au sein de cette harmonie spatiale… Couloirs et échos, flux énergétiques et mouvements d’ordinateurs. Le mariage de l’espace et du classique : Mozart se baladant chez Schoeller ou le contraire.
Praskova – Quel genre de public fréquente les concerts de l’I.R.C.A.M ? Donnez-nous quelques bonnes raisons pour venir écouter de la musique contemporaine.
Philippe Schoeller – Tout public, nous voguons dans l’essence d’une musique populaire. Nous sommes tous en quête de perceptions psychiques nouvelles à travers un regard sonore permanent et puis L’I.R.C.A.M est unique au monde : il y a dix ans, tout le monde venait ici pour travailler !
La vie est bruit, sons et musique. Notamment chez les enfants, on assiste à une forme de meurtre du cerveau, car il n’y a aucune protection. A fortiori, la musique fait entendre à chacun ce qu’il ne voit pas mais peut recevoir.
C’est le début d’un courage qu’aura la civilisation à venir écouter la musique de demain, bien qu’elle soit engluée dans trois cents années d’un code musical épuisé, basé sur des perceptions communes. Je suis convaincu par ma sensibilité, avec les limites de compréhension qu’imposent les nouvelles sensations, mais dans une sorte d’onanisme mental.
Venez, ma musique est très sage, sans agressivité ; du David Hamilton un tantinet chaotique.
Praskova – Comment se déclenche votre inspiration créatrice, et comment fabriquez-vous une œuvre ?
Philippe Schoeller – Le chant de création est tellement vaste, il atteint des sensibilités diverses. L’intuition y joue un rôle incroyable ! Quoi qu’il en soit, la nudité plus difficile à diriger qu’un ensemble régi par des codes et des lois.
Les expressions sont multiples : densité et fluidité immatérielle, rythme dans l’instant mais dans le mouvement, geste instrumental rythmique. Avec la voix on peut tout faire, mais avec la technologie il faut se mettre en symbiose ou en contraste, car elle permet de fixer les sons pour l’éternité alors que chanteurs et instrumentistes diffèrent à chaque prestation. Il y a d’ailleurs des lois universelles répétitives dans la perception : un son est beau ou laid.
Pour moi qui invente l’instrument, je construits les sons, et je parcours toute la chaîne de la création artistique, c’est de la lutherie, et c’est sans fin.
Praskova – Dans le style de ?
Pilippe Schoeller – Bien sûr, mais au bout de trois mesures, c’est du Schoeller, d’ailleurs j’adore me parodier moi-même. « Là ou croît le péril, naît ce qui sauve. » En vrai je suis pas mal… (rires).
Praskova – Quelle est votre stratégie de carrière ?
Philippe Schoeller – « Carrière » n’est pas le mot exact. De toute façon, nous n’en sommes qu’à son aube. Cela dit, j’ai un nouvel éditeur : Durand.
Praskova – Selon vous, quels noms marquent la musique contemporaine ?
Philippe Schoeller – Guillaume de Machaut. Vous semblez perplexe ? Rythmiquement, dans ses messes a capella, c’est déjà l’I.R.C.A.M. Gesualdo pour ses dissonances inouïes, Beethoven dans ses sixtes ouvertes, Wagner à la fin de la Valkyrie avec les 8 harpes superposées (Il le pouvait car avait les instruments et la partition).
John Cage, enfin. « Il n’y a pas un seul son que je n’ai pas aimé ».
Praskova – Ha ! Quelqu’un de votre siècle. Avez-vous un hobby ?
Philippe Schoeller – Nager, nager, l’eau, Ibiza quand j’étais petit, nager, manger, faire l’amour. Toutes les choses saines.
Praskova – Un diner idéal ?
Philippe Schoeller – Vous savez, j’admire tout le monde. Mais, comme j’aime le risque, ce sera avec vous. Je préparerai un tourteau accompagné d’un bouillon d’algues.
Praskova – Une phrase que vous aimez ?
Philippe Schoeller – « L’imaginaire, c’est le réel, avant. » René. ¶
Praskova Praskova
Dans le cadre de l’exposition Kandinsky au centre Pompidou
Programme concert « L’air d’autres planètes »
– Denis Cohen, Erinnerung commande de l’I.R.C.A.M- Centre Pompidou, création
– Philippe Schoeller Operspective Hölderlin, commande de l’I.R.C.A.M Centre Pompidou création
– Arnold Schoenberg Quatuor n°2, op10
Distribution: Barbara Hannigan, soprano; Quatuor Arditti
Réalisation informatique musicale Gilbert Nouno (I.R.C.A.M), Stefan Tiedje(CCMIX)
Production I.R.C.A.M- Centre Pompidou.
Avec le soutien de la caisse des dépôts.
Concert enregistré par France Musique
Vendredi 19 juin 2009 à 21heures Centre Pompidou, grande salle
18€, réduit 14 €, pass Agora 10 €
(1) Formation classique au conservatoire de Paris : classe de piano avec J-C Henriot, harmonie contrepoint avec B. Berstel, chant choral avec J.von Websky, direction d’orchestre avec G. Dervaux.
Il enrichit sa formation auprès de P. Boulez, I. Xenakis et F. Donatoni, et poursuit des études en musicologie et en philosophie de l’art à la Sorbonne, où il obtient un DEA.
Lauréat de plusieurs concours internationaux de composition (Antidogma en 1984, Dutilleux en 1980) et lauréat de la fondation Natixis de 1993 à 1997.Compositeur en résidence successivement à Bonn, Strasbourg, Montpellier.








