Les prémonitions créatrices de Richard
C’était la première, et la première fois en notre capitale. Le tout Wagnerophile était-là. Beaucoup de chefs, entre autre, et Clym, président du Cercle Richard Wagner de Paris, mémoire inépuisable des notes de Bayreuth et d’esquisses caricaturales de scènes d’anthologies. Plume prodigue, ami intime de Wolfgang Wagner, de Karajan et de tant d’autres artistes. Enfin, (et cela n’a rien à voir), mentor affectif de moi-même. Aux vues de ce monde de connaisseurs ou d’adorateurs de Richard se pressant dans l’antre du Châtelet, nous attendions tous cette production-là.
Die Féen | © Praskova
En effet, dès l’entrée, le spectacle tant attendu se ballade déjà de la salle au plateau. Le public d’allure tapageuse est vêtu, pour l’occasion, de soie et de paillettes kitchissimes. Sur le même ton, la mise en scène d’Emilio Saggi absolument féérique me rappelle une visite au musée Valentino à Rome et ne déroge pas à l’effervescence de la haute-couture italienne. Créativité et démesure pour des tissus brillants rose bonbon et bleu électrique, alignement d’ailes d’anges diaphanes, de roses épars et de lustres vénitiens gigantesques. Avec une seule version radiophonique en 1967 de cet opéra de jeunesse, il n’y a jamais eu de version scénique de l’œuvre d’où cet enthousiasme débordant. Il semble d’ailleurs que Wagner ne l’ait entendue qu’en lui-même !
A 20 ans, pas tout à fait libéré de son traité d’harmonie, influencé par son quotidien, Wagner a rassemblé-ici, pêle-mêle, les exigences d’écriture de l’opéra romantique allemand : Zauberflôte, Fidelio, Euryante, Fliegender et par salves, Tannhäuser. La longueur extrême du livret et de chaque pièce composée est déjà en phase : un conte initiatique avec de l’interdit, un récitatif en devenir dans la continuité dramatique, des airs titanesques, des chœurs magistraux et un espace scénique démesuré. Enfin, des exigences vocales infernales rendant les rôles extrêmement lourds.
Pas d’improvisation possible sur la naissance de cet Everest musical. Le ténor William Joyner (Arindal), encore trop frêle pour ce rôle, relâche sa mâchoire inférieure avec force, et ce, afin d’optimiser sa projection. Il en fait immédiatement les frais. À la limite de l’aphonie, écrasé par l’ampleur de la tâche, il s’époumone. On reconnaît dès lors le style Wagner en prélude de Tristan pour ce rôle épuisant de stentor ! Christiane Libor (Ada), aborde sa prestation avec puissance et rigueur, tandis que l’orchestre et le chœur se chevauchent en alternance.
Stratagèmes d’enchantements
À l’audition de cet orchestration déployée, la cohabitation des deux ne convainc pas vraiment. D’autant que les instruments d’époque des Musiciens du Louvre, bien que renforcés, renvoient des échos vagissants de la fosse. lina Tetruashvili (Lora), nous offre une ligne vocale claire et intuitive d’une grande finesse, carrière à suivre… Le reste de la distribution est vocalement et scéniquement engagée, mais si peu wagnérienne dans le style et l’émission. Il est vrai que Marc Minkowski à la direction, initiateur de ce projet courageux, surtout pour un orchestre aussi spécialisé dans le baroque, a parié sur une forme de surdité de l’auditoire, l’ensemble compensé par des stratagèmes enchantés de persuasion visuelle assez réussis. Il parvient ainsi, à créer une synergie effervescente dans le rythme de l’écriture, et par moment on perçoit un brin de densité harmonique. Cela permet également d’aplanir les niveaux de lecture et le désordre de la partition du maître à l’aube de son génie. Tout cela est vrai, mais qui d’autre que ce chef iconoclaste aurait pu faire revivre cette œuvre charnière avec autant de passion. En parvenant à la maitriser, voire à la traiter avec une touche d’élégance, sans sobriété remarquée d’ailleurs. Il nous fait aussi avaler le son de sa phalange performante, oui, mais non appropriée à mon sens pour une telle pièce. Que dire, pari gagné ou pas ?
À ce propos, je me demande encore pourquoi Laurent Naouri (Gernot), artiste accompli mais absolument dénué d’accentuation germanophile, ce jour-là, faisait office dans cet opéra du XIXe siècle, frôlant à bien des moments une intonation baroque. ¶
Praskova Praskovaa
Die Féen , de Richard Wagner
Direction musicale : Marc Minkovski
Mise en scène : Emilio Saggi
Distribution :
Christiane Libor – Ada
William Joyner – Arindal
Salomé Haller – Farzana
Laurent Alvaro – Morald
Lina Tetruashvili – Lora
Laurent Naouri – Gernot
Eduardo Melo Zemira
Jugith Gauthier Drolla
Nicolas Testé – Le Roi des fees, Groma
Les Musiciens du Louvre-Grenoble
Chœur des Musiciens du Louvre-Grenoble






