Jean-Edern Hallier
Mentor et ami jusqu’à son décès suspect le 12 janvier 1997, il fut aussi mon premier rédacteur et moi sa correctrice pour quelques-uns de ses écrits. À bien des égards, notre partenariat fut une aventure exaltante et un pied de nez à la République.
Jean Edern Hallier | © Praskova
Octobre 1984. Alors que dans un mouvement de répression sous-jacente nous élaborons le contenu possible du journal « l’Idiot international », Jean-Edern me propose ma première chronique satirique sur les “People”.
Janvier 1985, lors de corrections d’écriture pour son livre « l’Évangile du Fou », Jean-Edern décide de suivre les traces du père Charles de Foucauld jusqu’en Algérie. Il souhaite donner corps à ses écrits et me demande de l’accompagner pour ce travail.
Lors de ce voyage impromptu, il est question de favoriser sa propre créativité d’écriture et également la mienne, à travers un pèlerinage qui me conduira à la maison de mes parents à Alger. Perchée sur un promontoire rocheux surplombant la mer appelé le Cap de la Pointe Pescade, route de Bainem, nous y ferons halte pour mon anniversaire, le 30 janvier.
Pointe-Pescade, Alger | © Praskova
En effet, ce jour là , comme celui où je suis née, il y a du vent, beaucoup de vent. La mer déchainée, couleur huitre comme les yeux de jean-Edern, rugit sous un ciel délavé.
Notre périple s’enfonce au fin fond du Hoggar, où illuminations bleues et jeux de mots continuels nous assaillent.
Le 13 février, jour d’anniversaire de maman, elle qui aimait tant l’Algérie, nous suivons les pistes brulantes de l’oued Tamanrasset, avant d’abandonner la Jeep au profit de chameaux dociles mais particulièrement inconfortables. Ballottés par nos montures rugueuses, l’ascension vers les plateaux de l’Assekrem, à 2640 m, s’annonce lente et chaotique. A pas réguliers, nous gravissons une longue route sinueuse dans une vision ocre de roches déplumées jouxtant le ciel. Là-haut, il fait à peine 11 degrés à midi.
Acekrem, Ermitage de Charles de Foucault | © Praskova
Enturbannés de chèches, protégés des assauts du vent de sable et ma chevelure des nœuds, nous atteignons enfin notre but. Désarticulés par cette marche brinquebalante, nous quittons le dos cabossé de nos ruminants pour nous réfugier contre les pierres tièdes de l’Ermitage du père Foucault. Sous les derniers rayons de soleil, seuls, dans le silence du vent, nos regards se perdent sur les ombres mauves du crépuscule qui envahissent peu à peu ce paysage aride et majestueux. La nuit s’installe soudain sous des bans infinis d’étoiles frôlant la terre. L’air est pur. Proche de zéro à présent. Gelés mais éblouit par tant de beauté, il faut penser à rejoindre la vallée. Mouloudi, notre beau Touareg bleu apparait. Il conduit la Jeep, Là, en bas, à la lisière du bordj, les tentes feutrées du clan Touareg nous attendent. L’ode aux cinq thés s’apprête, les effluves de la graine chaude et moelleuse du couscous embaume, les dates douces et sucrées se fondent en bouche. Aucune affabulation, mais un souvenir radieux. Comme tu me manques mon ami. Et puis…
Septembre 1986
Le livre de Jean-Edern Hallier
Jean-Edern : « Il est édité, on y est ! Nous y avons passé tant d’heures. Your Me bémol »
Dédicace mystérieuse
Ce livre parle d’Immortelles, de Saint-Exupéry, du Hoggar et des Touaregs, de l’Assekrem et du père Charles de Foucauld, de la Corse, de Calvi qui brule et de l’aventure.
Un extrait de l’Evangile du fou
De l’autre côté du vent
” Sortis du pays de la soif et de la peur, c’étaient les hommes bleus — en qui coulait le sang bleu des sables, le plus pur-sang aristocratique. C’était la cinquième race de l’humanité, après les Blancs, les Noirs, les Jaunes et les Rouges. Quand ils surgissaient au sommet des dunes, ils faisaient leur fameuse peur bleue. Leur légende d’invisibilité était telle qu’il leur suffisait d’apparaître pour avoir déjà vaincu…
Pauvres Touaregs, fiévreux, enrubannés de noir, maquillés, déguenillés et efféminés. Fins de races épuisées, voilées comme les femmes, leurs razzias de misères semaient pourtant la panique chez les harratins, les cultivateurs noirs, et les trafiquants arabes. Aussitôt qu’ils se mettaient à réciter leurs poèmes homériques, à la lisière des bordjs, dans le vent de sable montant, tout le monde détalait.
C’était de très grands vents sur toutes les faces du monde. De très grands vents, par le monde, qui n’avaient ni air, ni gîte.









